Maître des Brumes, Tomi Ungerer (par Olivier Verdun)
Maître des Brumes, Tomi Ungerer, Éditions L’école des loisirs, Littérature jeunesse, 2013, trad. anglais, Florence Seyvos, 48 pages, 13,70 €
Edition: L'école des loisirs
À plus de quatre-vingt-un ans, Tomi Ungerer, dont le talent protéiforme n’a pas pris une ride, signe, avec Maître des brumes, son dernier album, traduit de l’anglais par Florence Seyvos et publié par L’école des loisirs.
La dédicace nous indique que ce conte est d’abord un hommage à l’Irlande, le pays de sa femme, où l’auteur vit depuis quelques années et dont l’âpre beauté, faite de grisaille, de confins écorchés, est parfaitement rendue par son inimitable coup de crayon : « Ce livre est dédié à l’Irlande et à tous les gens qui nous ont accueillis à cœur ouvert ». – Un pays où la tourbe fait les meilleurs whiskeys, où la Guinness coule à flot, où la musique et la bonne humeur vont bon train, si l’on en juge à l’avant-dernière page qui croque sur le vif une scène habituelle de pub de village. Le dessinateur s’est plu, en effet, à multiplier les scènes de genre en restant au plus près de ce qui constitue les travaux et les jours des gens de peu : récolte de la tourbe que l’on débite en briquettes pour le feu, gardiennage des moutons sous l’œil bienveillant d’un dolmen, filage et ravaudage des filets dans l’humble chaumière familiale…
Le point de départ du récit est simple : deux enfants, Finn et Cara, vivent sur une île, en mer d’Irlande, dans un petit village de pêcheurs coupé du monde. « Ne vous approchez jamais de l’île aux brumes ! », les avertit leur père en leur offrant un curragh, une petite barque qu’il a lui-même construite avec des roseaux tressés et de vieilles toiles passées au goudron.
L’île aux Brumes, cet endroit « maudit, dangereux, cerné par les courants les plus traîtres », dont personne n’est jamais revenu. Mais un jour d’épais brouillard, alors qu’ils cabotaient le long de la côte et pêchaient du poisson, l’Ile aux Brumes transperçant l’horizon comme une « vieille dent de sorcière », les valeureux moussaillons se laissèrent entraîner vers le large par la marée et partirent à la dérive : « L’obscurité descendit peu à peu. Le courant les conduisit jusqu’à une petite crique. Ils tirèrent leur barque sur le rivage et s’installèrent pour passer la nuit. Comme la lune montait dans le ciel et inondait la grève d’une lumière laiteuse, un escalier creusé dans la falaise apparut ».
Frigorifiés, les enfants grimpèrent les marches escarpées jusqu’à atteindre une porte scellée dans un haut mur de pierre : « Ils firent tinter la cloche, la porte s’ouvrit lentement, en grinçant sur ses gonds rouillés. Devant eux se tenait un très vieil homme ». Ainsi firent-ils la connaissance du Maître des Brumes, un personnage pour le moins étrange, coiffé d’une bougie allumée, tenant à la fois de Noé, du druide gaulois, du capitaine Nemo ou encore de Robinson Crusoé, dont la principale occupation est de fabriquer la brume à l’aide d’une immense chaudière. Le lecteur ne manquera pas de s’attarder à la page 31 qui, tel un immense mandala, représente un puits dont la paroi plonge dans le fond du magma en fusion, au centre de la terre.
Olivier Verdun
Né en 1931 à Strasbourg, Tomi Ungerer est bien connu des amateurs de littérature de jeunesse. On lui doit de nombreux albums, dont Les trois brigands (1968), Jean de la Lune (1969), qui a inspiré, en 2012, le film éponyme de Stephan Schesch, Rufus (2009) et Où est l’escargot ? (2012). Il est aussi affichiste, inventeur d’objets, collectionneur de jouets qu’il a du reste légués au musée de Strasbourg. Son site internet permet de se faire une idée plus précise de son œuvre prolifique : www.tomiungerer.com
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A propos du rédacteur
Olivier Verdun
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Olivier Verdun est un philosophe, essayiste et poète français.