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Ma Patagonie, Guénane

Ecrit par Cathy Garcia 14.06.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Ma Patagonie, La sirène étoilée, novembre 2017, 47 pages, 12 €

Ecrivain(s): Guénane

Ma Patagonie, Guénane

 

« le bout du monde ressemble au début du monde »

 

Ce recueil est un hommage, un magnifique et poignant hommage à une terre et à ses habitants disparus.

 

« L’horizon les dents du vent

aimantent les solitaires

les rêveurs de rupture

ceux qui ne craignent de se rencontrer »

C’est ainsi qu’il faut comprendre le « ma » devant Patagonie : non pas une appropriation conquérante des lieux, pas comme un adjectif possessif donc, mais comme la perception très personnelle de l’auteur au-delà de ce qui se donne à voir aujourd’hui.

Devant l’immensité des paysages, la puissance de leur mémoire et leur beauté qui raconte ce qui fut, elle s’incline avec humilité et une grande sensibilité.

« savoir se taire quand on écrit »

Ce n’est pas le premier recueil de Guénane qui évoque la Patagonie, mais ici elle s’attache avec les maigres outils du poète – « en poésie aucun mot n’est cloué/ il n’a aucune prise » – à rendre âme et justice aux premiers habitants de ces terres :

 

« Indiens Tehuelche

nomades aux empreintes géantes

onze mille ans de présence

(…)

civilisation Évangiles tourments

hommes blancs qu’ils voyaient roses

les Yámana s’éteignirent en 15 ans

(…)

1839 « Créatures abjectes et misérables »

Darwin écrit dans son Journal

(…)

Indiens Ona

(…) 1880 carnage

Ona tous traqués immolés

Aucun exil possible sur une île

 

Toutes ces vies horriblement massacrées et l’arrogante bêtise des « découvreurs ».

(…)

« Je voyage en silence

Dans la témérité des traces

Une main posée sur la grotte du cœur ».

 

Rendre justice aussi aux animaux en péril :

 

« je regarde cabrioler les baleines

dans un golfe de maternité

(…)

elles sombrent  jaillissent

trente tonnes de graisse

de grâce

saluent le ciel  replongent »

 

et à la nature défigurée :

 

« espérer que son souffle survive

sous les talons du tourisme

(…)

Lointain Sud engagé

dans la prolifération assassine

de nos inutilités ».

 

Ainsi l’auteur a su capter, non seulement les paysages, mais leur essence même, visions d’un monde disparu. Elle parvient à transmettre au lecteur tout le respect qu’ils lui inspirent, sans tomber dans l’aveuglement d’un romantisme exacerbé, bien au contraire, sa lucidité est vive et aiguisée comme le vent d’été austral « qui garde trace des sauvageries polaires ».

 

« la Patagonie épineuse érafle

les images faciles

mais elle attire

ses dix millions d’années apaisent

les esprits trop griffés

rassurent les insatiables

les soiffards d’horizon

(…)

La Patagonie c’est elle qui vous explore

ouvre vos brèches fouille votre cœur ».

 

Ma Patagoniea clairement une dimension écologique et politique engagée. Tout territoire a une histoire, celle de cette « Terre des feux éteints/des rêves consumés » est particulièrement cruelle.

 

« la colère du vent vient de loin

dans sa voix mugissent des ombres ».

 

Histoire d’un monde disparu :

« si aujourd’hui les chevaux fiscaux

hennissent sur la piste

la mémoire agrippe les cavaliers du passé

soudés à leur monture ponchos au vent

ils avaient des ailes ».

 

Et d’un monde sur le point de disparaître sous l’avancée d’un prétendu progrès :

« Le vent happe les dépotoirs sauvages

plaque les plastiques aux buissons

nos indestructibles macromolécules »

et d’un tourisme de masse, « paisible ravage ».

« si tu prononces

Humains

pourquoi cette impression toujours

que s’annonce un déclin ?

(…)

comment fait-elle l’Histoire

avec ce perpétuel goût de l’échec en bouche

d’où tient-elle cet estomac d’acier ? »

 

Notre propre histoire finalement, à toutes et tous.

« Si ta mémoire mesure le temps

évite la dangereuse nostalgie

se pencher à la portière de sa vie

c’est déjà la Patagonie »

(…)

Nous gardons tous en nous des lieux que jamais

Nous ne foulerons le cœur tiède »

Ma Patagonie, incontournable.

 

Cathy Garcia

 


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A propos de l'écrivain

Guénane

 

La ville de Lorient ayant été détruite par les Alliés en 1943, Guénane est née au cœur de la Bretagne. Après des études de Lettres à Rennes où elle a enseigné, elle a longtemps vécu en Amérique du Sud. En 1968, elle envoya son premier manuscrit, Résurgences, à l’éditeur René Rougerie. En 2014 devrait paraître son quatorzième recueil, Un Rendez-vous avec la dune. Elle a publié aussi 12 livrets chez La Porte, dont Venise ruse en 2012, des livres d’artiste et une dizaine de récits et romans dont le dernier, Dans la gorge du diable, chez Apogée en 2013. www.guenane.fr

 

A propos du rédacteur

Cathy Garcia

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : littérature française et étrangère (surtout latino-américaine & asiatique)

Genres : romans, poésie, romans noirs, nouvelles, jeunesse

Maisons d’édition les plus fréquentes : Métailié,  Actes Sud

 

Née en 1970 dans le Var.

Premier Prix de poésie à 18 ans. Premiers recueils publiés en 2001.

A Créé en 2003 la revue de poésie vive NOUVEAUX DÉLITS. http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com

Fin 2009, elle fonde l’association NOUVEAUX DÉLITS :

http://associationeditionsnouveauxdelits.hautetfort.com/

Plasticienne autodidacte, elle compose ce qu’elle appelle des gribouglyphes,  mélange de diverses techniques et de collages. Elle illustre plusieurs revues littéraires et des recueils d’autres auteurs. Travail présenté publiquement depuis fin 2008 et sur le net :

http://ledecompresseuratelierpictopoetiquedecathygarcia.hautetfort.com

Elle s’exprime aussi à travers la photo, pas en tant que photographe professionnelle, mais en tant que poète ayant troqué le crayon contre un appareil photo : http://imagesducausse.hautetfort.com/ Ce qui  a donné lieu à trois Livr’art visibles sur internet dans la collection Evazine :

http://evazine.com/livre_art.htm