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Les ombres nues, Patrick Martinez et [Notes fantômes], Sylvain Jamet (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché 26.06.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques

Les ombres nues – Patrick Martinez – Diabase Littérature – 16 euros – 116 p. – 25/02/25

Les ombres nues, Patrick Martinez et [Notes fantômes], Sylvain Jamet (par Philippe Chauché)

 

Légers comme un souffle littéraire

 

« Moins vivace le souvenir sorti faire le tour du quartier avec lui, et qui s’embraserait, sans doute, un soir d’été.

Comme si les mots l’aidaient à savoir à quoi tenir, ayant fixé pour lui et bien avant qu’il se fût agrippé à eux, quelque chose valant probablement d’être humé, approché, touché. »

Les ombres nues

Parfois la mémoire se glisse entre deux traits de lumière, dans l’ombre vive – comment la nommer autrement ? -, que lui livre ses souvenirs. Tout l’art du romancier est de lier entre eux ces souvenirs, de tisser une matière romanesque, que la mémoire éclaire. Les ombres nues est ce tissage, dans le fil à fil du temps.

On y croise les ombres d’un vieil homme qui lentement glisse vers la fin, sa veuve sombrant dans la folie, un adolescent d’autrefois submergé par la musique d’un saxophoniste de jazz, qui pourrait être John Coltrane, des livres qui comme des songes, reviennent en mémoire, ou ceux qui s’écrivent, qui sont peut-être aussi des rêves, ou qui sait, des illusions. Ce petit roman d’une centaine de pages, concentre dans un précipité romanesque éblouissant de finesse et de justesse, ces ombres de visages anonymes qui épousent ceux de chers disparus, les froissements et les odeurs. Les ombres nues est aussi le roman ouvragé de l’enfance. Comme Paul Cézanne, peignant sa montagne aixoise, Patrick Martinez écrit sur le motif, ici les souvenirs, qui éclairent et révèlent son roman, en quelques traits vifs et précis pour la forme, et comme chez le peintre des peintres, en d’autres phrases, qui en sont la matière organique qui les fonde, en écho et en regard, elles fixent le romanesque qui s’est déployé. Les présences sont des ombres, qu’elles aient quitté la terre, où qu’elles croisent le narrateur dans ses escapades dans la ville, le tout porté par un beau style, comme on le dit en musique - Patrick Martinez est aussi pianiste. Ces courtes histoires s’accordent merveilleusement entre elles, se répondent et ainsi construisent les grilles de ce roman, comme on le dit dans le jazz, qui brille par sa limpidité et la justesse de son ton.

 

« Ces déambulations ne le conduisant pas toujours à cesser de fréquenter, pour quelques heures au moins, ses fantômes préférés. »

 

On doit à Patrick Martinez, Les silences de Rose (Diabase éditions), Ligne de basse, Lui seul (Alma éditeur).

 

[notes fantômes] – Sylvain Jamet – Louise Bottu – 78 p. – 11 euros – 12/03/25

 

« Il écrivit une ligne après l’autre jusqu’à ce que le jour tombât. Lorsque la nuit fut vraiment noire, il en écrivit encore une, et le sens se perdit. »

[notes fantômes] Note sur être aveugle

Souvent, les écrivains dissimulent les notes que recèlent leurs petits carnets, qui servent de matrices à leurs romans, elles sont secrètes et éphémères et disparaissent sous les phrases qu’elles ont souvent inspirées. Ici ces notes, comme les fantômes, se montrent, se laissent voir et lire. Ce petit livre, moins de 80 pages, leur donne une belle place, chaque mot clé, ouvre sur de courtes histoires, de brèves réflexions, d’inflexions et de réflexions, c’est surprenant, amusant, touchant. Comme elles sont fantômes, ces notes ont le pouvoir naturel, rien de plus naturel qu’un fantôme, de donner l’accès provisoire au monde qu’invoque l’auteur. Il voit, il imagine, il rêve, il se souvient. L’éditeur Louise Bottu se délecte de ces petits livres inclassables, qui ne sont ni tout à fait des romans, ni des essais, ni des récits, ni des poèmes, mais des petits livres qui hantent, aimablement l’imaginaire, et qui attendent, comme les fantômes, leur heure, des livres joueurs, comme on le dit des enfants, ou comme l’on devrait le dire. Sylvain Jamet est peut-être la réincarnation de Julio Cortázar, à sa manière il écrit un tour du monde en 58 notes, comme autant d’excursions dans le monde, en étirant les définitions que peuvent en donner les dictionnaires qui eux aussi se délectent de fantômes, tant certains mots, de plus en plus, errent sans trouver où s’asseoir, faute de place, l’auteur ici leur donne une place de choix, et leur offre une deuxième ou une troisième vie, comme en rêve un fantôme.

Sylvain Jamet a publié Une météo (éditions Série Discrète).

 

Philippe Chauché



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A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com