Les feux, Raymond Carver
Les feux, (Fires 1983) trad. (USA) François Lasquin, 2012. 213 p. 14 €
Ecrivain(s): Raymond Carver Edition: L'Olivier (Seuil)
« Les feux » constitue le 7ème opus des œuvres complètes de Raymond Carver dans leur nouvelle traduction aux éditions de l’Olivier.
C’est un volume éblouissant. Non seulement le grand Carver nous offre quatre nouvelles sublimes mais il nous livre, et c’est bien plus rare, des poèmes magistraux et des textes de réflexion sur l’art du nouvelliste, sur son rapport à l’acte même de création de la nouvelle.
Quand Raymond Carver écrit, l’écriture n’a même plus d’existence tant elle laisse place à l’évidence de la vie. L’art de la nouvelle, qu’il a élevé au plus haut niveau de la littérature américaine, au plus haut niveau de la littérature tout court, ne peut s’accommoder de la moindre défaillance. La brièveté, la densité l’interdisent. Et l’écriture est pour lui un outil au service du réel, qui traque la réalité dans ses moindres recoins, les plus secrets comme les plus exposés.
Le premier texte de cet ouvrage touche au sublime par son extrémisme dans l’épure, le dépouillement absolu. C’est d’autant plus bouleversant que ce récit est dédié à son père. Le titre « Vie de mon père » et la longueur du texte, à peine 15 pages, en disent déjà beaucoup sur le génie de la condensation chez Carver. Car tout y est dit. Pas sur le père mais sur le lien essentiel de Raymond Jr à Raymond Sr. L’indicible chez Carver se dit comme l’élémentaire, avec la pudeur de la nudité.
On y voit, crevant les yeux, ce que Carver doit à John Fante dont il était un grand lecteur : la simplicité du récit, l’obsession du mot rigoureusement juste, mais aussi, surtout, les valeurs morales que doit porter la littérature, donc l’écrivain. On est là au cœur du projet littéraire de Raymond Carver : écrire n’est pas un simple exercice de style. Le ciel nous en garde ! C’est la transposition dans un livre de l’univers particulier de l’auteur, ses méandres secrets, ses passions, ses élans.
« La chose dont je parle ici a une parenté avec le style, mais ne se ramène pas au seul style. C’est la griffe particulière, et reconnaissable entre toutes, qu’un écrivain appose à tout ce qu’il écrit. Cet univers, c’est le sien. Il n’appartient qu’à lui. C’est l’élément qui permet de distinguer un écrivain d’un autre. Pas le talent. Le talent ça court les rues (…) » (In « de l’écriture »)
Chez Carver le cœur tient une place centrale, l’amour des siens, l’amour des autres. Dans un modèle que l’on rencontre souvent dans la littérature américaine qui sait si bien glisser du particulier à l’universel. On sait l’art de ce glissement chez Steinbeck, chez Hemingway. Mais les « cousins » les plus proches de Raymond Carver sont assurément John Fante, pour la puissance de la relation interpersonnelle, et Jim Harrison, pour la passion de la nature sauvage, l’amour de la pêche à la truite, la divinité du monde.
Un poème. John, Raymond ou Jimmy ?
« Un camion lui est passé dessus.
Tu le trouves au bord de la route
Et tu l’enterres.
Ça te fait de la peine.
Ça te fait de la peine personnellement,
Et ça te fait de la peine aussi pour la peine de ta fille
Parce que c’était son chien
Et qu’elle l’aimait tant.
Elle lui roucoulait des mots tendres
Et le laissait dormir dans son lit.
Tu écris un poème là-dessus.
Tu l’intitules Poème pour ma fille,
A propos du chien écrasé par un camion.
(…) »
(In « Ton chien meurt »)
Et ici encore, un chant aux accents du Montana :
« Lentement les jours s’allongent, et nous
avançons ensemble vers le printemps,
vers la montée des eaux, le frai des saumons
et la truite anadrome »
(In « Automne »)
« Les feux » est une démonstration de plus de l’étendue immense de l’univers et du génie de Raymond Carver. De sa grandeur.
Leon-Marc Levy
VL5
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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VL3 : assez haute VL
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