Leaving Tulsa, Jennifer Elise Foerster (par Nicolas Grenier)
Leaving Tulsa, Jennifer Elise Foerster, éditions Encrages & Co, Coll. Parallèles, juin 2024, trad. anglais, Béatrice Machet, 120 pages, 17 €
Coma Oklahoma
On a l’impression d’abandonner un monde ancien, l’enfance de Jennifer Elise Foerster, l’ombre de ses grands-parents à Jenks, dans le comté de Tulsa, comme les derniers éclats de la tribu amérindienne, la nation Muscogee : les légendes, les rites, les funérailles. À travers ses élégies, ses lamentations, ses chansons, cette terre de mémoire pourrait s’appeler Tulsa, dans l’État de l’Oklahoma, Tucson, Tupelo, Topeka :
Je vois nos cent soixante acres
Tamponnées sur le pays abandonné de Dieu,
Un toit de hangar emporté par le vent
Dans cette contrée sauvage, désertique, funèbre, la fiancée d’une autre Amérique a la nostalgie du paradis perdu, le royaume de ses ancêtres, peuplé de chevaux, de coquillages et de tortue dont la carapace symbolise le continent des Indiens d’Amérique du Nord. La nature, les pins, les trembles, le sorgho, devient un livre de souvenirs, comme un feu de bois dont il faut raviver la flamme pour son prochain.
Sur la carte routière, la quintessence de l’Amérique est le peuple indien. L’essence, à travers « la tôle rouillée d’une étoile Texaco », l’autoroute, les camions, un parking, un péage, une Chevrolet, le goudron, ainsi que les « flaques de propane », matérialise l’Amérique du XXIe siècle. De ce Nouveau monde, il ne reste qu’un « Caddie vide », une « caissière en rollers », des « piles électroniques ». À proximité de l’odeur grasse du fast-food, dans le paysage mental de l’Ouest, on découvre un monde composite :
Tu es le photographe du Christ
se reposant sur un matelas en plastique
à la piscine d’un motel à l’ouest du Nevada
Dans son périple crépusculaire sur la « terre de la Liberté », la poétesse, née en 1979, au sang indien et européen, file vers la chaîne des Rocheuses, le Rio Grande, et plus encore à l’ouest, vers le golfe du Mexique. Hantée par les fantômes de son Amérique profonde, elle roule vers le futur, comme une fille de la génération X :
Je ne suis rien qu’une autre Américaine perdue
écrasant des criquets sur son pare-brise
Nicolas Grenier
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