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Le pertuis, quelques propos sur "Consens à n'être rien", Marie de la Trinité

Ecrit par Didier Ayres 21.01.13 dans La Une CED, Les Dossiers

Le pertuis, quelques propos sur

 

"Consens à n'être rien" Carnets 1936-1942

de Marie de la Trinité, ed. Arfuyen, 2002, 15 euros

 

Comment écrire quelques mots sur ce livre, qui est dans ma bibliothèque depuis plusieurs années, et qui, à mon sens, est de la même importance pour la vie de l'esprit que les écrits de Maître Eckhart, pour la langue française. Il n'est pas inutile, d'ailleurs, que je parle de la langue française car, la question de la langue est très importante ici. En effet ces carnets sont en quelque sorte un livre de dialogue, en même temps qu'une interrogation intérieure. Car Marie de la Trinité est une mystique complexe et très particulière par la manière dont elle aborde le divin, puisqu'il lui prête parole, et la transmet avec une langue concise et nette. On peut dire qu'il est difficile de qualifier avec une grande science ces apophtegmes, dans la mesure où la femme, dans cette communication extatique, converse directement avec le divin et les puissances de verbe.

J'employais le terme complexe, et je crois que la vie de Marie de la Trinité -qu'une petite note biographique en fin d'ouvrage décrit bien-, avec les préoccupations religieuses et mystiques et avec celles de la psychologie et des altérations de l'esprit -habit religieux en 1932, dépression, puis devenue psychothérapeute en 1955- est bien illustrée par ces carnets. Une fois prises ces précautions oratoires, répétons que ce livre est à la fois un dialogue du dedans et une adresse verbale à Dieu.

 

De ce fait, cette "conversation" avec le divin est soulignée par les parties en italique -et je suppose que l'éditeur, Gérard Pfister, a fait au mieux pour restituer graphiquement à la fois la clarté et l'étrangeté de cette parole. Tout le monde sait que l'italique correspond au théâtre aux didascalies -parties qui donnent une certaine matérialité à l'action dramatique- et dans la prose, qu'elle souligne des locutions ou des mots étrangers. Pour résumer mon impression, je dirai que l'on est ici dans un théâtre mental étrange, à l'entrée d'un pertuis par où la lumière vient. Je suppose que Marie de la Trinité cherchait le réconfort dans cette voix, une félicité spirituelle, cherchait une obstétrique surnaturelle pour se consumer par la langue et construire une éthique, si je puis dire, de type cistercien.

 

Entrons mieux dans le coeur de l'ouvrage, pae exemple, en ce 26 juillet 1942 :

 

"Je vis mon âme comme un calice -non selon la forme d'un calice matériel, mais plus profondément, en moi-même, selon la notion  même de calice- et remplie du contenu divin dont le Père la remplit -et que je devais veiller à ce qu'il n'y ait aucune fissure."

 

Là est tout le danger pour le critique, pour définir de quoi est faite cette expérience au bord de la mysticité. Car la seule chose que je puisse dire, c'est que cette expérience équivaut à un voyage au-dedans d'une dimension, profondeur pleine, gouffre intérieur, que tous les oxymores de cette espèce permettraient peut-être de résumer. La vraie intelligence reste sans doute ainsi, pour Marie de la Trinité, Paule de Mulatier de son vrai nom, de décrire le tourbillon de ce dialogue spirituel.

 

Quelques mots encore d'elle :

 

"Ne te répands pas."

"Peu de mots."

"Laisse-toi pour Moi – et passe de toi en Moi."

"Nue, vide, dépouillée, pure capacité."

"N'interviens pas."

 

Ce sont de bien brèves citations de ce que Paule retient de cette parole à la fois obscure et d'une grande teneur morale, et je crois que cela exprime probablement cette manière folle et simple de décrire l'appel de cette Voix. Car au milieu de cela, comme dans une coupe de vin fort, il y a le désir, le goût de l'amour divin qui pousse à l'effacement de soi. "Contact de substance à substance" comme elle décrit cette abrasion, montre bien comment elle est agie par une kénose. Oui, cette révélation est une oeuvre de langage, une forme poétique de la présence et de l'emplissage symbolique.

 

Permettez-moi en guise de conclusion, une petite anecdote personnelle au sujet de ma lecture adolescente de Lao-Tseu, dont je ne comprenais pas avec exactitude les difficiles notions de Non-agir ou de Voie du Milieu. C'est ce que je retrouve ici, dans ces carnets, cette façon de s'effacer, de ne pas vouloir, de rester épinglé par une fixité spirituelle, par l'intrigue d'un chemin vers la divinité. Oui, il faut faire accueil. Il faut lire sans cesse et relire aussi les très hautes conclusions d'Eckhart, de Lao-Tseu ou de cette grande mystique lyonnaise qui m'accompagne depuis si longtemps.  Et même si peu de  la vie physique du temps vient ici ou là heurter le texte -nous sommes en partie durant la deuxième geurre mondiale-, ce n'est que pour mieux se sentir resserrer au coeur de cette coupe, où contenant et contenu forment la totalité d'une ivresse fine et profonde, celle d'un élixir puissant et noble et comme troublant les rapports compliqués de la réalité avec sa forme immatérielle et divine. Le livre est cette relation, comme on le dirait d'un récit de voyage.

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.