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Le Corsaire Rouge, James Fenimore Cooper (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 07.04.23 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Folio (Gallimard), Roman, USA

Le Corsaire Rouge, James Fenimore Cooper, Gallimard, Folio Classique, juin 2021, trad. anglais, Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret, 690 pages, 11,50 €

Edition: Folio (Gallimard)

Le Corsaire Rouge, James Fenimore Cooper (par Patryck Froissart)

Présentée, préfacée et commentée par Philippe Jaworski, cette édition, magnifiquement servie par la traduction, dans un français d’une magistrale pureté classique, de Defauconpret de Thulus, permet à tout lecteur, au prix modeste du format Poche, d’embarquer pour une odyssée marine prodigieuse et conséquemment inoubliable.

L’action commence en 1759, précisément le jour où les habitants du lieu, fidèles sujets de la monarchie anglaise, célèbrent la victoire de l’Angleterre sur la France, laquelle perdait là ses colonies américaines et canadiennes, à Newport, alors petit port de Rhode Island, où mouillent deux navires, le Dauphin et la Royale Caroline, dont la présence, la nature, l’équipage, les qualités opératives, l’élégance, la provenance, la destination, l’activité hypothétique constituent, ponctués d’allusions répétées sur les faits et gestes d’un pirate quasi légendaire qui sillonne et écume l’océan en accumulant prises, massacres et autres forfaits, le sujet principal des conversations qui se nouent sur terre, à l’occasion récurrente de rencontres aux circonstances provoquées ou semblant relever du hasard, entre des personnages qui vont et viennent, en un chassé-croisé dont l’intrigante durée narrative suscite une attente croissante d’il ne sait quoi chez le lecteur littéralement (littérairement) captivé.

Ainsi se croisent et se recroisent en observant et en évaluant, des hauteurs du port, les deux navires à l’ancre :

– le tailleur Homespun, un personnage vantard et cupide,

– un mystérieux étranger vêtu de vert qui se dit avocat,

– un groupe de femmes dont la jeune et gracieuse Gertrude, sa gouvernante Mrs Wyllys, et leur suivante noire, Cassandra, et la tante de Gertrude, Mme de Sacey, veuve d’un illustre commandant de marine,

– le personnage principal, Wilder, un jeune officier marin de la Couronne britannique apparemment momentanément dépourvu de charge, officiellement en quête d’un ré-enrôlement marin, secrètement chargé de provoquer la capture du flibustier tristement fameux, et généralement accompagné de deux fidèles matelots, l’un répondant au nom de Dick Fid, l’autre un noir d’Afrique appelé Scipion l’Africain. A noter : Wilder est amoureux de Gertrude, ce qui constitue une intrigue secondaire, latente et platonique,

– d’autres protagonistes de moindre importance pour la suite de l’histoire mais dont les caractères ajoutent au récit une série de touches pittoresques.

Il ne se passe rien d’autre que ces rencontres et conversations, discussions, voire disputes au fil des deux-cent-cinquante premières pages, et pourtant agit un charme étrange et croît une tension magique et, irrésistiblement, saisissante.

Wilder est amené à retrouver sur le Dauphin, présenté comme un navire négrier, l’étranger en vert, qui se révèle être le commandant du vaisseau sous le nom de Heidegger, qui lui offre le poste de second, et qui lui dévoile, contre serment de garder le secret, sa véritable identité : le Corsaire Rouge, c’est lui ! Le jeune aventurier signe, et est enrôlé sur-le-champ avec ses deux matelots et le tailleur en goguette. Gertrude et ses deux compagnes doivent dans le même temps embarquer sur la Royale Caroline pour aller retrouver le père de la jeune fille en Caroline du Nord.

A peine ces dames ont-elles rejoint leur embarcation que brusquement l’intrigue se tend et que le scénario se met en branle : le commandant de la Royale Caroline étant subitement mis hors service suite à un accident inexplicable, les armateurs ont souci de lui adjoindre, pour la traversée, un officier expérimenté. Le Corsaire Rouge enjoint Wilder de se présenter pour solliciter le poste.

Chose faite, la Royale Caroline appareille donc sous les ordres de Wilder. Après plusieurs heures de navigation, celui-ci constate avec angoisse que son voilier est suivi de près ou de loin, par le Dauphin, qui apparaît et disparaît ici et là comme un inquiétant bateau fantôme. Alors s’enchaînent les péripéties en un rythme narratif devenu rapide :

– une terrible tempête, dont les phases aux conséquences désastreuses constituent un récit poignant, à quoi les manœuvres de l’équipage rapportées par un auteur narrateur dont les connaissances en la matière sont évidentes confèrent un réalisme puissamment impressif,

– une mutinerie sur la Royale Caroline dans une mise en scène aux ressorts intensément dramatiques suivie d’un abandon par les mutins du navire démâté et prenant l’eau,

– le lent naufrage de la Royale Caroline puis une longue dérive en une chaloupe en laquelle ont pu se réfugier Wilder et les dames, narration théâtralement agencée en une succession de rebondissements,

– le sauvetage, par l’équipage du Corsaire Rouge, du petit groupe de rescapés,

– une seconde rébellion, fomentée par une partie de l’équipage du Dauphin, contre Wilder à qui le Corsaire a rendu son titre de commandement,

– une impressionnante bataille navale entre le voilier du Corsaire et un vaisseau armé de la Marine Royale,

– et cetera.

Habilement disséminés dans l’action de ces représentations spectaculaires, le narrateur glisse des indices qui, à mesure qu’avance le récit, font croître la perplexité du lecteur quant aux liens secrets, inconnus d’eux-mêmes, qui unissent les protagonistes (le Corsaire, Mme de Sacey, Wilder, Gertrude) jusqu’aux révélations finales qui font référence à des événements remontant du fin fond d’un passé trouble dont nos personnages parviennent enfin à rattacher tous les fils, ce qui donne lieu à des renouements/dénouements mélodramatiques pouvant provoquer la larme à l’œil chez le lecteur sensible.

Ces sept cents pages se boivent comme petit lait.

Hors sa taille, Le Corsaire Rouge est considéré comme un monument littéraire.

Extraits de la préface, à propos de l’auteur et de l’œuvre :

– Si l’histoire et la préhistoire de son pays n’ont pas d’épisodes remarquables à lui offrir en pâture, du moins le moment colonial lui suggère-t-il un type d’aventurier et un décor. Car ce corsaire chevaleresque, c’est son capitaine Heidegger dont le personnage littéraire est Conrad, le flamboyant pirate misanthrope du poème de Byron, en guerre contre le monde qui l’a déçu. Cooper place en face de lui un jeune officier de la marine royale chargé de le capturer. Le chasseur est rusé, intelligent, honnête, intègre ; mais le redoutable hors-la-loi est, lui, un « homme extraordinaire qui à l’âme d’un géant », et ce monstre exerce sur son antagoniste une singulière fascination. Il n’en faut pas plus à Cooper pour nouer son intrigue… ».

– Cooper installe pour longtemps dans le roman anglo-américain la dramaturgie maritime des récits, légendes et poèmes anciens, tout en situant l’action dans un cadre historique précis.

– Le Corsaire Rouge invente un type de scénario qui, de Richard Henry Dana à Malcolm Lowry, en passant par Melville, Jack London, Joseph Conrad et bien d’autres, ne variera guère.

Aux lecteurs/lectrices de sept à soixante-dix-sept ans et plus de donner dans leur galerie de portraits littéraires la place qui revient à ce Corsaire Rouge, personnage complexe, paradoxal et saisissant, sombre, amer, cruel, élégant, gentilhomme, érudit, rebelle…

 

Patryck Froissart

 

James Fenimore Cooper, né le 15 septembre 1789 à Burlington, dans le New Jersey, et mort le 14 septembre 1851 à Cooperstown, dans l’État de New York, est un écrivain américain. Il est surtout connu pour son roman Le Dernier des Mohicans.

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A propos du rédacteur

Patryck Froissart

 

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.

Membre des jurys des concours nationaux de la SPAF

Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)

Membre de la SGDL

Il a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles, dont certains ont été primés, un roman et une réédition commentée des fables de La Fontaine, tous désormais indisponibles suite à la faillite de sa maison d’édition. Seuls les ouvrages suivants, publiés par d’autres éditeurs, restent accessibles :

-Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)

-Li Ann ou Le tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)

-L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)