Le Boulier cosmique, Jean Maison. La Difficulté métaphysique du poème
Le Boulier cosmique, Jean Maison, éd. Ad Solem, septembre 2013, 96 pages, 19 €
La Traversée de Philadelphie
ou
La Difficulté métaphysique du poème
J’étais curieux de lire à nouveau la poésie de Jean Maison, car j’avais abandonné sa compagnie depuis son dernier livre chez l’éditeur Rougerie, et le beau travail des éditions Ad Solem, avec un livre qui avait été l’objet d’une illustration de Yasmina Mahdi pour un tirage limité. Et singulièrement, c’est à une sorte de voyage que convie l’ouvrage. D’ailleurs, son titre est peut-être un peu trompeur car il y a plus de chair et de présence physique que dans un boulier, et surtout cosmique.
Ainsi le premier volet de cet ouvrage, très construit autour de six chapitres charnus et denses, s’intitule Philadelphie. Et c’est, semble-t-il, la ville elle-même qui est intéressée par cette citation. Donc une métropole américaine assez riche d’histoire – où fut signée la déclaration d’indépendance, et qui fut le siège de l’état fédéral à la fin du XVIIIème siècle – que l’on ressent très fort dès le début. Ainsi je cite : Je partis le soir même pour le Nouveau Monde, qui est une des toutes premières formules du livre.
Voilà le voyage qui nous est présenté. Une déambulation, assez lâche d’ailleurs, où l’on rencontre dans le poème à la fois la voix de Philadelphie et le contexte sylvestre du petit village de Saint Augustin en Corrèze où vit le poète. Ce n’est pas à dire vrai un entre-deux, mais plutôt un mélange d’émotions et de visions.
Un chant noué plonge à la hâte près des verrières lapidées. L’invisible construction de la ville s’élève dans sa chance. Des écarts éraflent l’air, embrasent la prophétie du commerce. Sans palabre ni marchandage, les fascines troquent leurs feuilles d’alliance contre des résines fraîches.
Philadelphie, berceau des chambres boréales à l’odeur de saline ! Rivière Delaware à la gloire des forêts de séquoias ! Intérieur épuré, étoffe de sel aux manches translucides.
Nous sommes dans un pays fluvial, presque maritime et souvent nocturne. Cependant on croise ici ou là des formules difficiles que le poète doit très bien contrôler. Je connais peu l’école de l’hermétisme en poésie, qui a été développée si je ne me trompe en Italie, mais l’univers complexe et un peu clos de ce livre est sans doute un point de vue, un proscenium intérieur qui réfléchit de manière approfondie le langage et sa spiritualité.
Or donc nous sommes dans une traversée métaphysique, par exemple dans ce pavillon des fêtes où règne le mystère et où la nature ambigüe du langage force presque sa symbolisation. Je cite encore :
La neige n’échappe pas au vent, sa beauté nous accable. Ce rien d’ordinaire tombe sur les quartiers les plus sombres, sur le replat des entrées de caves à charbon. À la lumière des lampadaires et des quinquets, à travers le halo des phares de voitures, virevoltent des flocons. J’étais décidé à suivre l’empreinte croisée des épaves. Sur la crête, des lignes électriques traçaient à vive allure des nuées orange. La pluie glacée dégradait les auvents. La sphère nocturne s’allumait, pareille aux portes bleues d’un club.
Impression d’une ville la nuit, mystère non rompu, morceaux épars de ce qui a été ressenti. Il est évident qu’il faut avoir à l’esprit Walt Whitman, avec l’accumulation des avenues, des drugstores, des magasins, des cheminots qui ont fabriqué l’Ouest américain, des paquebots, et nous sommes bien à Philadelphie.
Voyage et aussi traversée du temps, du temps de l’Avent et sa spiritualité qui ne quitte jamais le texte. Écritures – précédées d’une majuscule ici –, fête parfois – ce qui suit le carême de Noël –, couronne céleste – peut-être un fagot de branchages illuminés pour Noël. Envol métaphysique porté un peu vers l’hermétisme, style assez savant mais qui conserve une ouverture vers autrui.
Didier Ayres
- Vu: 3525