La Réjouissance, Stéphane Barsacq (par Philippe Chauché)
Ecrit par Philippe Chauché 18.12.25 dans La Une Livres, En Vitrine, Les Livres, Critiques, Essais
La Réjouissance – Stéphane Barsacq – Editions le Corlevour – 192 p. – 20 euros – 21/10/25.
Ecrivain(s): Stéphane Barsacq
« Les classiques sont tout le contraire du passé. Ils disent le temps et fixent la durée : ils sont pliés dans leur époque dans l’attente d’être dépliés dans la nôtre. »
« On lit un livre consacré qui appartient à l’histoire et soudain on découvre qu’un homme, comme vous, était derrière, qui n’est plus, qu’il a vécu, qu’il a eu des enfants, qu’il est mort, et que, à leur tour, ses enfants sont morts, eux dont le tombeau est visible : on a alors quitté la littérature, pour pénétrer, sans s’en être aperçu, de qui fait son fond – cette manière d’habiter l’exil et l’histoire, et d’indiquer un chemin toujours nouveau. »
Approches de Dante
La Réjouissance est le livre du vif plaisir de déplier les classiques, et les souvenirs de penseurs et d’écrivains qui à leur manière disent le temps et fixent la durée. Comme Philippe Sollers, dont il fut l’ami, et grand lecteur (1), Stéphane Barsacq est un écrivain de la Joie, et cette joie est dans ce livre rare, synonyme dans La Réjouissance de : Ovide (Quel écrivain n’a pas été instruit par ton verbe ?), Dante (La Divine Comédie est une écriture perpétuelle pour celui qui la lit.), ou encore Pascal. Mais aussi regroupé dans un chapitre baptisé Pointes sèches : Mallarmé, Rimbaud, Baudelaire, qui se trouvent à jamais liés par le regard charnel de Stéphane Barsacq, ou encore : Nietzsche, le lire fait s’effondrer toutes les carricatures qui l’entourent, et qui sont toujours vivaces, c’est, écrit Stéphane Barsacq, l’un des plus grands écrivains français, et l’un des lecteurs les plus précis (Stendhal, Voltaire, mais aussi La Rochefoucauld, Pascal, Chamfort et Laclos.). Cette réjouissance est une croisière heureuse, où l’on accoste dans d’autres îles qui, parfois oubliées, méritent nos attentions et notre admiration, elles portent le noms d’écrivains, poètes vifs et ébouriffants : Jean Cocteau, en bonne et juste place, celle d’un poète qui a traversé le XXe siècle comme un météore. La Réjouissance est aussi un livre de souvenirs, de Portraits souvenir : Comme d’autres suivent les saints, j’ai voulu rencontrer des poètes qui puissent m’affermir dans le vœu, né de l’espérance, que le verbe entretient. Comme Stéphane Barsacq aime les éclairs et les éclats, il se nourrit de ceux que lui offrent ces poètes admirés, ces écrivains accompagnés, ces philosophes lus, relus, comme on lit et relit un manuscrit avant de le transmettre. La transmission est au cœur de ce livre heureux, l’écrivain sait qu’écouter, c’est offrir, lire c’est transmettre, il en va des livres, comme du bonheur. Comme La Divine Comédie, les livres qui accompagnent lumineusement La Réjouissance, sont consacrés, ils n’ont pas d’âge, et peuvent ainsi, tant que des hommes les liront, devenir immortels, c’est cette immortalité du verbe que recherche et que trouve Stéphane Barsacq dans cet ouvrage où le verbe est à l’œuvre dans ses plus beaux ressorts.
« Philosophe, il est devenu historien ; et maître de la chose antique, il n’a cessé de méditer sur l’éternité, qu’il attendait avec gourmandise, pour citer une parole de Rimbaud. »
Lucien Jerphagnon, le barbouze de l’Antiquité.
Stéphane Barsacq, s’il était torero, nous dirions qu’il avance la jambe face aux cornes du taureau, qu’il risque sa fémorale et donc sa vie, mais il est écrivain, et sans une seconde succomber aux mirages de l’autofiction, il livre les instants de sa vie qui l’ont tous conduit à La Réjouissance, histoire de cœur et de familles. Des léproseries tenues par des religieuses en Afrique, à la défunte URSS, et aux souvenirs des déportations nazies qui ont saisies sa famille, sa mémoire vive irrigue ce livre et ouvre sur les miracles de la littérature, de la poésie et de la pensée. L’écrivain ne vient pas de nulle part, et par écho, ne lit et n’écrit pas n’importe quoi, et surtout n’importe comment. En son temps Philippe Sollers baptisait La Guerre du goût (2), un livre qui faisait se rencontrer des articles parus dans la presse, le grand goût de la littérature, comme l’on dit le Grand Siècle, Stéphane Barsacq pourrait ici, parler de Guerre du style, tant son livre est juste et vivifiant.
Philippe Chauché
On doit notamment à Stéphane Barsacq, éditeur et écrivain, des romans, des essais, des recueils d’aphorisme et des ouvrage sur l’art et la musique, dont l’admirable trilogie : Mystica, Météores, Solstice (éditions de Corlevour), Rimbaud, Celui-là qui créera Dieu (Le Seuil), Augustin Frison-Roche (Klincsieck), Renaître, avec Hélène Grimaud (Albin Michel).
(2) « À une société de mauvais goût militant, je préfère donc, quant à moi, une foule de singuliers autrement présents. » Philippe Sollers - Gallimard 1994
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Philippe Chauché
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Rédacteur
Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël
Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais
Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages
Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.
Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com

