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La Minute bleue de l’aube, Estelle Fenzy (par France Burghelle Rey)

Ecrit par France Burghelle Rey le 27.06.19 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

La Minute bleue de l’aube, Estelle Fenzy, éd. La Part Commune, mai 2019, 120 pages, 13 €

La Minute bleue de l’aube, Estelle Fenzy (par France Burghelle Rey)

 

Forte de dix recueils déjà parus, Estelle Fenzy a consacré une année à ces cent pages de « minutes » éclairant comme des flashs aube après aube. Proches par leur concision des haïkus deux ou trois textes occupent chacune des pages de ce nouvel opus.

Celui-ci s’ouvre sur une naissance, celle du jour, de la lumière et de la vie, pour se clore sur le vide, le silence et la mort. L’importance de l’écriture est annoncée d’emblée et les allusions métapoétiques seront récurrentes jusqu’à la fin :

 

Ecrire

Tenir ouverte

la bouche de l’enfance

Le poème permet alors « l’asile / à soi-même » ainsi que la voyance nécessaire après la nuit et la solitude ; l’aube est « une paix retrouvée » où est possible un dialogue avec « Nos morts, nos absents».

Dans leur concaténation et dans leur juxtaposition apparemment arbitraire les poèmes présentent des liens, souvent par association d’idées, que l’étude des champs lexicaux rend évidents. Sensations visuelles, mémoire, relations humaines – un « tu » apparaît : « Je t’écrirais sans cesse / pour que tu revives » – nature et cosmos adjuvants et « Aimer en novembre ». Autant de thèmes qui, par leur isotopie, enrichissent des fils conducteurs.

L’élan donné depuis le début peut paraître cependant freiné par l’obscurité : « Cette connivence / avec la nuit » qu’illustre une allusion au deuil d’une technologie toute contemporaine :

 

Sur mon téléphone

Ton dernier message

17 avril 2014

43 secondes

Parfois je l’écoute et je pleure

Je n’arrive pas à l’effacer

 

Un premier dialogue donc avec un être cher disparu. Mais une nouvelle génération va apporter sa joie : « Baby boy » a des chaussures trop grandes pour sa mère et réconforte (« Le bonheur / c’est le miel du goûter / sur tes lèvres ») celle-ci plongée dans ses sentiments de perte et de peur :

 

J’ai peur

que le manège s’arrête

qu’il faille achever les chevaux

 

Autant de petits textes de deux à six sept vers brefs pour lesquels brièveté et espacement ne sont pas arbitraires mais manifestent à la fois la légèreté et la gravité des sentiments exprimés. Souvent la musique des premiers mots se fait entendre comme les premières notes d’une symphonie et celle des derniers mots peut enchanter, à son tour, de très belles chutes.

Cette brièveté, paradoxalement, représente tout un monde :

Souvent

mes poèmes

tiennent dans une main

Humanité

de paume ouverte

 

Voilà ainsi un esprit de concision qui favorise les aphorismes de toute une philosophie :

 

Parfois

on ne saisit pas mieux le centre

que lorsqu’on est au bord

 

S’allie à cette versification et à cette mise en page la surprise d’images originales et de trouvailles qui égrènent les textes comme la poète nous y a habitués dans ses autres recueils. Ainsi nous enchante-t-elle avec, par exemple, « Acupuncture de la pluie », « le jour balbutie / en bleu et bleu » et « Elle est triste la pluie /Jamais elle ne retournera au ciel », ou bien un beau tercet comme celui-ci accompagné de sa chute :

 

Je me demande

où dorment les âmes

des morts en hiver

Il n’y a pas de nids dans les arbres

 

Cette tendresse des mots est le reflet de la nature propre à Estelle Fenzy qu’elle a pu exprimer, entre autres, dans son très beau recueil, Mère, où la maternité est magnifiée. On retrouve ici les merveilles de la naissance :

 

Chaque seconde

un enfant naît sur la terre

Jusqu’où ira son cri

 

Et l’on comprend à quel point le présent de l’écriture, à la naissance cette fois du jour, dans « l’éclat de l’instant » et en compagnie toujours des oiseaux, amis de ses mots et justement des enfants aussi, est le moment de grâce pour l’auteur :

 

Cet instant où j’écris

Ce moment de pure existence

Celui-là ne peut pas mourir

 

Une forme de sagesse permet à Estelle Fenzy de vivre pleinement le quotidien et d’en éprouver de la joie :

 

Que cuisine-t-on ce week-end

Une question une promesse

Un dimanche accordé

Midi rit aux éclats

dessus la table offerte

 

Ainsi la solitude peut-elle être combattue quand l’écriture est, de surcroît, vécue en symbiose avec la nature :

 

La rencontre

est là

dans ce paysage

qui te sait

 

puisque l’auteure n’hésite pas à dire : « être… une herbe parmi les herbes » et « Je suis l’eau vive / de mon ruisseau ».

 

Il y là une grande présence au monde qui ne doit pas faire oublier, celle plus grande encore, avec toute l’empathie nécessaire, à l’humanité souffrante :

 

Les hommes se déchirent

se partagent les terres

 

Il faut dire que l’écrivaine trouve sa rédemption dans la réalité autant, sans doute, que dans le rêve, compagnon fidèle des poètes :

 

J’ai rêvé

d’une chaumière

d’une forêt de brigands

d’une princesse en haillons

dans un hiver de neige

J’étais la neige

 

Un point de vue que confirmera l’excipit :

 

On rêve le silence

comme on rêve les rêves

On espère les faire vrais

 

On laissera le lecteur découvrir la suite du recueil chanté en leitmotivs sur ces topoï, mais il faut encore évoquer, pour mieux comprendre l’état d’esprit de la poète par rapport à son travail créateur, la confiance qui, désormais, l’anime après l’effort :

 

Je sais

que mon poème est beau

à cet oiseau qui chante

quand je ferme mon carnet

 

France Burghelle Rey

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : poésie, littérature

Genres : recueils, essais, récit

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, éditeurs divers

France Burghelle Rey est Paris, a enseigné les Lettres classiques et vit actuellement à Paris où elle écrit et pratique la critique littéraire. Elle est membre de l'Association des Amis de Jean Cocteau et du P.E.N. Club français.

Plus de cent textes parus dans de nombreuses revues et anthologies ainsi que plus de soixante-dix notes critiques(Nouvelle Quinzaine littéraire, Poezibao, Europe, La Cause littéraire, Place de la Sorbonne, CCP, Recours au poème, Texture, Temporel etc.).

Elle a écrit une quinzaine de recueils dont Lyre en double paru aux éditions Interventions àHaute voixen 2010 puis chez La PorteRévolution en 2013 suivi de Comme un chapitre d'Histoire en 2014 et de Révolution IIen 2016. Le Chant de l'enfance(Prix Blaise Cendrarsadultes) a été publié aux éditions du Cygneen juillet 2015, Petite anthologie, ( Confiance, Patiences et Les Tesselles du jour )chezUnicitéen 2017 et Après la foudrechez Bleu d'encreen 2018.

 

Les derniers textes augmentés de L'Enfant et le drapeau (à paraître chez Vagamundo), naissance rédemptrice d'un " ange " dans un monde en désolation, veulent exprimer l'expression d'une nécessaire présence au monde en souffrance. Elle achève en 2017 un recueil encore inédit en trois parties sur le thème du lieu puis en 2018 commence un récit poétique.

 

Elle a collaboré avec des peintres (Georges Badin) et la graveur Hélène Baumel pour un certain nombre de livres d'artistes.

L'un des ses romans, le premier,  L'Aventure, est publié chez Unicitéau printemps 2018

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