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La main sur le cœur, Yves Harté (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché 13.04.23 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts, Récits, Le Cherche-Midi

La main sur le cœur, Yves Harté, Le Cherche-Midi, Coll. Les Passe-Murailles, août 2022, 160 pages, 18,90 €

Edition: Le Cherche-Midi

La main sur le cœur, Yves Harté (par Philippe Chauché)

 

« À mesure que se croisent le souvenir de Veilletet et le portrait de Juan de Silva, comme deux images au-dessus de ces plaines où nous avions si souvent roulé, je vois naître leur tristesse soigneusement masquée. Trop d’exubérance chez l’un. Trop de solennité chez l’autre ».

« Ici je me sens sudiste, et j’ai mes zones humides jusqu’au fond de l’Andalousie, dans La Marisma. La vache flamande ou médocaine y est remplacée par le taureau de combat, mais c’est le même territoire imbibé, que le soir enveloppe de vapeurs et de silence, le même horizon bas qui s’affale pour laisser toute la place au ciel dans le tableau » (Pierre Veilletet) (1).

La main sur le cœur est un livre, où un tableau, un portrait unique et admirable, déclenche chez l’auteur une effervescence de mémoire. Il retrouve, par le miracle d’une toile du Greco et de son modèle, un temps qu’il croyait perdu. Ce temps qu’il partagea avec Pierre Veilletet (2), sur les routes d’Espagne, entre les musées et les arènes, dans des années déjà anciennes où un toro noir d’Osborne, perché sur une colline, veillait sur les voyageurs.

Son ombre, la fine découpe de son corps invitait les touristes au pays de Cervantès et de Manolete. Ils sont encore près d’une centaine à veiller ainsi sur les routes de Castille et d’Andalousie notamment. Temps de l’amitié et de la transmission, d’un père symbolique à un fils admiratif et curieux, transmission de savoirs savoureux, de livres, de villes, de souvenirs et de passions communes. Enquêtant sur El caballero de la mano en el pecho (Le Chevalier à la main sur la poitrine) du Greco, le visage de son ami bordelais disparu s’incruste dans la toile, comme si le modèle, Juan de Silva, et le journaliste écrivain, ne faisaient plus qu’un. Comme si ce tableau qui trône au Prado de Madrid devenait le héros d’un roman en devenir, comme si les souvenirs vivaces, qu’il croyait effacés, renaissaient sous sa plume, comme ils naissaient sous le pinceau inspiré du Greco. L’écrivain va tenter de lever les mystères qui entourent ce tableau, éclairé par les explications de quelques fins connaisseurs du Greco, comme Fernando Marías (3), dont le frère n’est autre que l’admirable écrivain Javier Marías, récemment disparu ; il découvrira la vie, les aventures, et les douleurs de Juan da Silva, marquis de Montemayor, la profonde originalité de la peinture du Greco, sa grâce inspirée, et sa palette mystique si troublante.

« Les deux hommes se font face, le peintre et le chevalier, l’artiste et le Caballero. Ils se reconnaissent et n’en disent rien. Ils sont de la même eau. Ils lisent les mêmes textes et le remâchent. Et n’entendent pas se voir privés de leur liberté. L’un et l’autre sentent que leurs rêves leur échappent ».

Yves Harté est nourri de la légèreté, de la finesse, de la profondeur, sans effets et sans lourdeur des toreros andalous. Longtemps journaliste, grand reporter au journal Sud-Ouest, il sait le poids des phrases et la justesse des mots, la force des images, les belles raisons de l’évocation, et il connaît l’économie du geste littéraire : aller au cœur de l’histoire, au cœur de la fusion du narrateur avec l’histoire qu’il raconte, comme un torero va au cœur du toreo. Il perce le secret d’un tableau, et celui d’une amitié, deux visages qui éclairent ce beau livre, épris de lumière et de fantaisies.

 

Philippe Chauché

 

(1) Bords d’eaux, Coll. Lieux Dits, Editions Arléa, 1989

(1) Pierre Veilletet, Journaliste, Grand Reporter à Sud-Ouest, responsable de Sud-Ouest Dimanche, Rédacteur en chef de Sud-Ouest, ses romans sont réunis dans Oui, j’ai connu des jours de grâce, Arléa, 2013

(3) Greco, Biographie d’un peintre extravagant, Cohen&cohen, 2013

 

Yves Harté est l’auteur avec Hermine Herscher de Calidad, objet de fierté (Du May éditions) ; La Huitième couleur, regards sur l’arène (Ed. Confluence/Arlea) ; avec Jean-Pierre Tuquoi : Latche, Mitterrand et la maison des secrets (Seuil).

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A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com