La grande maison (Great House), Nicole Krauss (par Léon-Marc Levy)
La grande maison. Traduit de l'anglais (USA) par Paule Guivarch. 334 p 22 €
Ecrivain(s): Nicole Krauss Edition: L'Olivier (Seuil)« La Grande Maison », on ne l’apprend qu’au dernier chapitre, c’est le grand Temple disparu de Jerusalem. C’est la « maison » purement immatérielle que fabriquent les bribes de mémoire millénaire des juifs du monde.
Titre énigmatique pour un livre qui l’est de bout en bout. Au rugby, on dirait qu’il alterne les temps forts et les temps faibles. Nicole Krauss a fait le choix de bâtir son roman dans une architecture complexe et très apparente : la première partie, il y en a huit, s’intitule « L’audience est ouverte », la cinquième aussi. Le titre de la deuxième partie « Trous de nage » se retrouve à la septième. Et ainsi de suite. Seules la partie centrale, la plus longue « Mensonges d’enfants » et la dernière, la plus courte, « Weisz » sont uniques dans leur intitulé. On voit le projet : construire une trame délocalisée (New-York, Londres, Jerusalem …), des héros multiples et peu à peu mener aux liens qui font sens d’ensemble. On pense irrésistiblement aux films d’Iñarritu, « Amours chiennes », « 21 grammes » et « Babel », construits sur le même schéma.
Le lien, ce sont les rencontres communes des personnages, et c’est surtout une curieuse affaire de bureau, meuble énorme et encombrant, qui va être le paradigme symbolique de l’histoire. Enfin des histoires. Parce que, malgré la volonté de réunir ses personnages et leurs destins dans « la grande maison », Nicole Krauss nous offre en fait surtout une série de nouvelles, dont certaines brillantes.
La plus forte, et de loin, tient dans les parties 2 et 5 : « La Vraie bonté ». Magnifique soliloque d’un père vieilli adressé à un fils qui ne le rejoint que le jour des funérailles de la mère, après une vie d’ignorance réciproque, d’incompréhension, de rapports violents et haineux et pourtant, par-dessus tout, d’un amour terrible et écrasant.
Le livre est peuplé de portraits superbes, de scènes fortes et inoubliables, de passages d’une finesse sidérante, en particulier dans la délicatesse et la complexité des relations entre les êtres, l’imbroglio de l’altérité.
Si la structure de l’oeuvre déconcerte un peu, on sort néanmoins de ce livre avec une certitude : l’écriture de Nicole Krauss est étincelante, serrée, sans cesse inscrite dans un rythme haletant. Elle insère les nuances des personnages comme des diamants dans un écrin parfait. Des passages de ce livre sont parmi les plus justes et les plus beaux que j’aie jamais lus. Et ça touche tellement juste !
« La Grande Maison » est bâtie des matériaux de la douleur : « Quel est l’intérêt d’une religion qui tourne le dos à la question de ce qui se passe quand la vie se termine ? Privé de réponse – privé de réponse et en même temps maudit en tant que peuple qui, depuis des milliers d’années, génère chez les autres une haine infernale – le juif n’a d’autre choix que de vivre chaque jour avec la mort. De vivre avec elle, de construire sa maison dans son ombre et de ne jamais discuter ses conditions. »
Léon-Marc Levy
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