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La grande et fabuleuse histoire du commerce, Joël Pommerat

Ecrit par Marie du Crest 04.11.12 dans La Une Livres, Actes Sud/Papiers, Les Livres, Recensions, Théâtre

La grande et fabuleuse histoire du commerce, Actes Sud-Papiers, 72 p. 13,50 €

Ecrivain(s): Joël Pommerat Edition: Actes Sud/Papiers

La grande et fabuleuse histoire du commerce, Joël Pommerat

Entre 1967 et 1969, Michel Vinaver écrivait Par-dessus bord, pièce dans laquelle il était question d’une entreprise française menacée par la concurrence américaine. Vinaver ridiculisait les méthodes du marketing triomphant. Joël Pommerat en 2012 s’attache à peindre le monde de la vente, de la prospection à domicile. Le titre est ironiquement grandiose et épique : la grande et fabuleuse histoire du commerce sera incarnée par un groupe de commerciaux, de V.R.P. de base, de vendeurs comme l’annonce la liste des personnages. Ils sont au nombre de cinq, ils écument une région définie en quête de clients. Ils n’ont pas d’intimité : ils n’apparaissent sur le plateau que dans des chambres d’hôtel impersonnelles et qui constituent l’unité de lieu (unique et multipliée). Ces chambres sont des territoires de transit où les personnages vont et viennent (entrée et sortie). Elles peuvent d’ailleurs devenir des scènes de théâtre improvisées.

Pommerat construit l’action selon un diptyque chronologique et historique. La première partie de la pièce couvre les années 60, parenthèse enchantée de l’économie française. Les vendeurs expérimentés ont entre cinquante et soixante ans. Franck lui, est une jeune recrue qui devra faire ses preuves dans le métier de la vente en suivant les conseils de ses collègues. L’apprentissage relève d’un jeu théâtral dérisoire, de travestissement. André l’ancien endosse le rôle de la cliente et Franck lui donne la réplique en jouant son propre rôle de débutant. Le jeu s’accompagne d’une didascalie de mise en scène : il ferme une porte imaginaire et va s’asseoir.

Franck déçoit ; Michel, son oncle et Maurice, autres membres de l’équipe de vendeurs à leur tour jouent la scène de la vente. Maurice sera la dame aux chiens et Michel, le représentant. Toutes ces prétendues techniques de vente (jeux de rôle) se révèlent être ridicules. Franck non seulement échoue dans son métier mais aussi dans sa misérable vie privée, qui d’ailleurs reste hors-champ. On le quitte au téléphone et il pleure à fendre l’âme.

Pommerat, s’il fixe le lieu, en revanche il dilate le temps. Nous sommes alors en 1968 grâce à un poste de télévision-accessoire, diffusant des informations. Tout bascule dans le grotesque, le grand Guignol : l’un des rares clients ayant acheté le produit mis en vente fait une pitoyable tentative de suicide avec un pistolet de défense… Le produit à vendre est donc inepte et assassin : il tue. Le commerce littéralement tue.

La seconde partie de la pièce, elle, couvre les années 2000. Les vendeurs n’ont plus les mêmes prénoms, ils ont le même âge mais Franck malgré sa jeunesse est leur supérieur. Il a finalement réussi à s’imposer dans la vente. Les méthodes « managériales » ont évolué. Elles se détournent de la bonhommie, de l’éloge : « vous êtes une belle équipe », au profit du harcèlement qui écrase l’individu. Franck, dans une assez longue tirade, attaque Daniel sans ménagement en l’humiliant (p. 54).

Qu’est-ce qu’y a Daniel ? T’as  plus envie de rigoler ? A propos tu t’es vu dans une glace cette année ?

Plus loin, il traite l’équipe ainsi : « Des pauvres mecs… ». Il les menace, sur le mode du chantage, de les congédier purement et simplement s’ils ne réussissent pas la moindre vente. Et que vendent-ils ? Un guide universel des droits sociaux de l’être humain. Le cynisme du politiquement correct s’affiche sans vergogne. Franck ne vise que l’efficacité en laissant au bord de la route celui qui échoue, Daniel. Pourtant le « manager » va tomber, comme le Franck de la première époque, il sera quitté au téléphone par sa femme. Seule sa victime, Daniel, lui accordera sa bienveillance humaine tandis que les autres vendeurs, chantres du commerce, l’ignoreront pour aller faire des affaires.

Ainsi Joël Pommerat lève-t-il les masques du profit marchand et de ses rouages qu’il connaît bien, s’étant appuyé sur des études émanant de spécialistes de l’économie-gestion. La langue familière de la pièce lui donne la force d’un regard sur le monde réel. Théâtre politique et citoyen qui fait sans doute écho à une pièce précédente : Les marchands.

La pièce est en tournée en France et en Europe de septembre 2012 à décembre 2013.

 

Marie Du Crest


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A propos de l'écrivain

Joël Pommerat

 

Joël Pommerat, né en 1963, se tourne très tôt vers le théâtre. Il devient tour à tour comédien, metteur en scène, et auteur. En 1990, il fonde sa propre compagnie (Louis-Brouillard). Sa première pièce date de 2003. La grande et fabuleuse histoire du commerce est son œuvre la plus récente. Il est édité chez Actes Sud-Papiers.

Actuellement il est artiste associé à l’Odéon-Théâtre de l’Europe.

Bibliographie chez Actes Sud-Papiers : Je tremble 1 et 2 (2009) ; Ma chambre froide (2011) ; Cendrillon ( 2012).

Un essai : Théâtres en présence (2007).

 

A propos du rédacteur

Marie du Crest

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.