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La fille aux tongs (2)

Ecrit par Marie du Crest 10.07.12 dans La Une CED, Ecriture, Création poétique

La fille aux tongs (2)

 

Les tongs du peintre s’enrubannent. Fils d’Ariane.

 

La fille ignore de l’autre côté du triptyque, l’homme nu qui sans pied, joue au foot, en regardant le large, devant lui. Que de gens se croisent sur La Riviera, dans les salles du musée où je suis, de tableau en tableau ! J’ai envie de m’asseoir sur une large banquette de moleskine pour entrer dans la scène balnéaire. C’est bien elle, je reconnais l’étoffe rouge aux arabesques blanches. Pourquoi ne pas hanter toutes les œuvres du peintre dont j’aime le si joli nom des grands champs ? Un écran de cinéma, peut-être. Il y a tant de scènes de plage, de grève dans les films ; les amants s’y retrouvent à la nuit tombante, les héroïnes assassinées roulent dans le ressac.

Je vais sur une autre plage mais j’aperçois à nouveau un petit lambeau de l’étoffe du paréo rouge aux arabesques blanches sur la droite de la partie droite d’un autre triptyque. Le vent a fait s’envoler ce joli voile de baignade et son mouvement s’est arrêté là, sous le pinceau. A l’autre bout, une fille virevoltante, souriante, aux lèvres maquillées, écarlates, me voit, j’en suis certaine. Je devine ses yeux espiègles et sa blondeur hollywoodienne. Elle porte une blouse aux rayures rouges assorties à son rouge à lèvres. La brise marine soulève les pans de son ample jupe. Elle semble sauter, presque danser. Elle est en équilibre sur sa jambe droite ; et sur son pied que la tong bleue habille. L’autre pied est absolument nu. Le bleu de la tong comme le bleu du ciel. LES FILLES AUX TONGS de Marc Desgrandschamps sont des néréides.

 

Deux femmes plus massives la regardent, oubliant l’espace du panneau central du triptyque. Elles sont, à la différence de la danseuse du vent, des blocs. Un long bloc noir sert de robe droite sans manches.

 

Plus étrange, une fille un peu plus tard, une année plus tard (c’est la date du tableau qui l’indique) est habillée comme une citadine : jupe noire aux franges de pinceau ; maillot ; grande sacoche ou besace portée en travers du torse. Et pourtant, elle porte elle aussi des tongs rouges. Ses pieds m’impressionnent. Ils adhèrent aux tongs. La fille aux tongs rouges et trois personnages à ses pieds, lilliputiens. L’un porte des trainer noirs. Étrange décor autour de cette scène inexplicable : masse de verdure ; masse de l’azur ; masse de la statuaire antique et orientale. L’artiste est aux côtes de la fille aux tongs rouges. Où va-t-elle ?

 

Autre tableau. Nous sommes bien loin de la plage. Je pourrais reconnaître cette femme brune aux lunettes noires, aux cheveux dégoulinants. Tout est noir et grisaille à l’exception de la réserve colorée des lisières rouges de son tee-shirt qui ourlent son décolleté et ses tongs. Loin ; au loin ; des passants minuscules. C’est l’été, un été sans soleil. Elle fouille dans sa besace, que cherche-t-elle ? Elle a besoin de ses clefs, de son téléphone portable. Je ne peux l’aider. Je la fixe.

 

*

 

L’été, Paris est une plage à la mer invisible. Les baigneurs semblent tous redouter la nage, ils sont installés dans des transats de géants comme si tout avait été pris dans la toile imaginaire d’une fée. Les châteaux de sable ne sont jamais la proie du flux et du reflux. Ce qui me trouble davantage, c’est la marche des promeneurs, vêtus en citadins, qui passent et repassent devant les nageurs immobiles en bikinis ; en maillots de bain colorés ; ils offrent eux leur corps au soleil dans l’air torride de la ville d’août. Personne n’a remarqué l’absence des coquillages, des visages et des jambes aux dessins de sel. Au loin, il n’y a pas d’horizon. Les tankers de Fos, les chalutiers du Guilvinec ne rentrent pas au port. Bateaux-mouches qui parlent l’anglais. La mer a remonté la Seine ; les ponts sont d’énigmatiques jetées entre les deux rives de ce Bosphore occidental. Je marche là dans ce paysage incertain. Je marche en tongs pour entrer dans les toiles du peintre parce que tout y est plus juste. Se défaire de ses chaussures fermées. En quelques semaines, le soleil tracera sur mes pieds la bride blanche de la petite pantoufle plastifiée de la Cendrillon des villes.

 

Marie du Crest

 

A suivre




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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.