Identification

La Crédulité à l’âge de la raison, Rhétorique, épistémologies, éducation, Collectif (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier 05.05.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Editions Honoré Champion

La Crédulité à l’âge de la raison, Rhétorique, épistémologies, éducation, Giulia Iannuzzi, Claudia Lora Márquez, Sylvie Moret Petrini et Brianna E. Robertson-Kirkland, éditions Honoré Champion, 2024, 400 pages, 58 €

Edition: Editions Honoré Champion

La Crédulité à l’âge de la raison, Rhétorique, épistémologies, éducation, Collectif (par Gilles Banderier)

 

L’idée de réunir en séminaire de jeunes chercheurs, doctorants ou docteurs frais émoulus, est dans l’ensemble intéressante : cela leur permet de confronter leurs méthodes, leurs recherches, et de publier leurs premiers travaux sans passer par le processus de sélection intimidant des grandes revues à comité de lecture – où la réputation et les relations interpersonnelles jouent un rôle plus important qu’on ne le croit en général.

En juin 2021, l’université du Michigan (Ann Arbor) abrita un tel séminaire, organisé par la Société internationale d’Étude du XVIIIe siècle, sur un thème sous-estimé et prometteur : la crédulité au Siècle des Lumières.

La crédulité est une disposition d’esprit qui traverse toutes les époques. On peut se moquer, par exemple, des techniques divinatoires en usage chez les Romains (certains d’entre eux étaient déjà fortement sceptiques), à condition de ne pas oublier le succès toujours vif de l’astrologie et des marabouts, en un XXIe siècle où l’on aurait dû comprendre depuis beau temps qu’il n’y a rien à en attendre. L’étude de la crédulité à une période donnée peut se révéler hilarante ou affligeante, mais elle revêt un intérêt tout particulier aux époques qui se proposèrent, précisément (et en le proclamant d’une voix forte), de lutter contre les croyances infondées et de s’affranchir des préjugés. Contrairement au Moyen Âge, qui fut ainsi désigné a posteriori, la Renaissance et le Siècle des Lumières (ou Enlightenment ou Aufklärung) furent ainsi nommés par les contemporains – du moins une fraction d’entre eux, celle qui publie des livres – fiers d’appartenir à une époque de l’histoire humaine où l’on allait voir ce qu’on allait voir et où l’ignorance, sous le moindre de ses aspects, serait pourchassée sans trêve. La Renaissance, si hautaine dans son opposition aux ténèbres médiévales qui nous valurent la Divine Comédie et les cathédrales gothiques, s’effondra dans la boue et le sang des guerres de religion. Quant au Siècle des Lumières, il cultiva une dimension militante analogue. Il entendit combattre l’ignorance et les ténèbres. Soit. Mais où commencent, où se terminent, l’ignorance et les ténèbres ? Pour filer la métaphore des Lumières, qui décide de ce qui est éclairé et de ce qui ne l’est pas ? Il suffit de parcourir l’immense bibliographie de Pierre M. Conlon (Le Siècle des Lumières, Genève, Droz, 32 volumes) pour apercevoir le problème : hier comme aujourd’hui, les éditeurs cherchent à répondre aux attentes du public (ou à l’idée qu’ils s’en font). Et de la même manière qu’aujourd’hui les libraires sont inondés de romans tous meilleurs les uns que les autres, leurs lointains prédécesseurs (sous l’Ancien Régime, les fonctions d’éditeur, d’imprimeur et de libraire n’étaient pas distinctes) proposaient aux chalands ouvrages de dévotion, almanachs ou livrets de colportage. En une époque où le statut d’homme de lettres était incertain et d’un rendement financier aléatoire, on pouvait fort bien se réclamer in petto des Lumières et publier des ouvrages fort éloignés de leurs idéaux. Au-delà de cette question d’ordre individuel, de la même manière que l’épidémie de chasse aux sorcières eut lieu à la Renaissance (et non au Moyen Âge, comme on le croit souvent), ce fut au XVIIIe siècle (la chose scandalisa Voltaire) qu’on se mit à croire aux vampires. Non seulement les Lumières ne furent pas homogènes (il y a un monde entre un Montesquieu et un Jean Meslier), mais elles firent preuve en plus d’une occasion d’une invraisemblable crédulité, comme le comprirent Mesmer et Cagliostro, parmi les plus connus.

Ce volume propose à ses lecteurs un voyage divertissant et varié, en français et en anglais, à travers les almanachs dans l’Europe du Sud ; un roman d’anticipation, les Memoirs of the Twentieth Century (1733) d’un écrivain irlandais oublié, Samuel Madden ; la poésie d’une Suédoise, Hedvig Charlotta Nordenflycht (qui réfuta en vers certains aspects de la pensée de Rousseau) ; l’Encyclopédie d’Yverdon animée par un protestant, De Felice, qui voulait obtenir un résultat plus cohérent que l’entreprise de Diderot et d’Alembert (où, un exemple parmi d’autres, les articles Damnation, et Enfer se contredisent) ; la réflexion physiocratique, la pensée de Diderot lui-même, les enfants prodiges ou les journaux destinés à la jeunesse.

 

Gilles Banderier



  • Vu : 286

Réseaux Sociaux

A propos du rédacteur

Gilles Banderier

 

Lire tous les articles de Gilles Banderier

 

Docteur ès-lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. Dernier ouvrage publié : Les Vampires. Aux origines du mythe (2015).