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La « Colognisation » du monde, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud le 27.01.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

La « Colognisation » du monde, par Kamel Daoud

 

Colognisation. Le mot n’existe pas mais la ville, si : Cologne. Capitale de la rupture. Depuis des semaines, l’imaginaire de l’Occident est agité par une angoisse qui réactive les anciennes mémoires : sexe, femme, harcèlement, invasions barbares, liberté et menaces sur la Civilisation. C’est ce qui définira au mieux le mot « colognisation ». Envahir un pays pour prendre ses femmes, ses libertés et le noyer par le nombre et la foule. C’est le pendant de « Colonisation » : envahir un pays pour s’approprier ses terres. Cela s’est donc passé dans la gare de la ville allemande du nom de ce syndrome, pendant les fêtes du début de la nouvelle année. Une foule des « Autres », alias maghrébins, syriens, « arabes », refugiés, exilés, envahisseurs, a pris la rue et s’est mise à s’attaquer aux femmes qui passaient par là. D’abord fait divers, le fait est devenu tragédie nationale allemande puis traumatisme occidental. « Colognisation » désigne désormais un fait mais aussi un jeu de fantasmes. On y arrive à peine à faire la différence entre ce qui s’est passé dans la gare et ce qui se passe dans les têtes et les médias. Les témoignages affluent, mais les analyses biaisent par un discours sur le binôme Civilisation/barbarie qui masque le discours sur la solidarité et la compassion. Au centre, le corps, la femme, espace de tous, lieu du piétinement ou de la vie.

Pour l’agresseur, cela est clair : il vient de ces terres où c’est le sexe qui est un crime, parfois, pas le meurtre. La femme qui n’est pas « fille de », ou « épouse de », est un butin. Une possibilité de propriété. Un sexe à prendre. Un corps à emporter sur son dos vers la broussaille. Le spectacle de la femme libre en Occident n’est pas vu comme l’essence même de la liberté et de la force de l’Occident, mais comme un caprice, un vice ambulant, une provocation qui ne peut se conclure que par l’assouvissement. La misère sexuelle du monde « arabe » est si grande qu’elle a abouti à la caricature et au terrorisme. Le kamikaze est un orgasme par la mort. Et tout l’espace social est une prison du désir qui ne peut s’exprimer que dans la violence, la dégradation, la fuite vers d’autres terres ou la prédation et la clandestinité. On parle peu de la misère des sens dans les terres à turbans. Et paradoxe détestable, la sexualité, ce sont les islamistes qui se chargent de l’exprimer, la baliser, la coder ou la réduire à l’expression Hallal de la procréation. Tuant le désir par la posologie. Au point où c’en est devenu une véritable obsession dans le discours de prêche. Une sorte de libido-islamisme conquérant.

Mais la « Colognisation » a fait renaître le fantasme de l’autre menaçant dans un Occident qui ne sait pas quoi faire de nous et du reste du monde. Les faits tragiques et détestables survenus dans cette gare sont venus cristalliser une peur, un déni mais aussi un rejet de l’autre : on y prend prétexte pour fermer les portes, refuser l’accueil et donner de l’argument aux discours de haine. La « Colognisation » c’est cela aussi : une peur qui convoque l’irraisonnable et tue la solidarité et l’humain.

 

Kamel Daoud

 


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A propos du rédacteur

Kamel Daoud

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Kamel Daoud, né le 17 juin 1970 à Mostaganem, est un écrivain et journaliste algérien d'expression française.

Il est le fils d'un gendarme, seul enfant ayant fait des études.

En 1994, il entre au Quotidien d'Oran. Il y publie sa première chronique trois ans plus tard, titrée Raina raikoum (« Notre opinion, votre opinion »). Il est pendant huit ans le rédacteur en chef du journal. D'après lui, il a obtenu, au sein de ce journal « conservateur » une liberté d'être « caustique », notamment envers Abdelaziz Bouteflika même si parfois, en raison de l'autocensure, il doit publier ses articles sur Facebook.

Il est aussi éditorialiste au journal électronique Algérie-focus.

Le 12 février 2011, dans une manifestation dans le cadre du printemps arabe, il est brièvement arrêté.

Ses articles sont également publiés dans Slate Afrique.

Le 14 novembre 2011, Kamel Daoud est nommé pour le Prix Wepler-Fondation La Poste, qui échoie finalement à Éric Laurrent.

En octobre 2013 sort son roman Meursault, contre-enquête, qui s'inspire de celui d'Albert Camus L'Étranger : le narrateur est en effet le frère de « l'Arabe » tué par Meursault. Le livre a manqué de peu le prix Goncourt 2014.

Kamel Daoud remporte le Prix Goncourt du premier roman en 2015