La chambre blanche, Martyn Waites
La chambre blanche, septembre 2015, traduit de l’anglais par Alexis Nolent, 432 pages, 22 €
Ecrivain(s): Martyn Waites Edition: Rivages/Thriller
Martyn Waites est né à Newcastle upon Tyne, ville du Nord-est de l’Angleterre, bien connue pour son club de football, ses pubs, mais aussi pour avoir été bâtie sur un important ban houiller qui donna travail et nourriture pendant de longues années à ses habitants. C’est donc assez naturellement que l’auteur puise les sujets de ses livres dans l’histoire économico-sociale de cette région pour brosser au fil de romans noirs, voire très noirs, la destinée souvent tragique d’hommes et de femmes depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’aux années Thatcher. Trente-cinq années de réformes et d’avantages sociaux sous la houlette de gouvernements en majorité travaillistes, de Clément Attlee à James Callaghan, brutalement balayés par un Premier Ministre décidé, entre autres choses, à briser la puissance des syndicats. Si la question minière et les grèves de 1984-1985 sont au cœur de son remarquable roman Né sous les coups, traduit en français et publié par les éditions Rivages, dans La chambre blanche l’auteur aborde le thème de la rénovation urbaine, autre élément phare de l’après-guerre.
Dans les deux romans, comme un leitmotiv, l’écrivain s’attache à décrire d’une part les espoirs portés avec ferveur par une population qui, après les sacrifices de la guerre, souhaite accéder à une vie meilleure et qui d’autre part se trouve confrontée dans Né sous les coups à une « révolution conservatrice » basée sur les privatisations, et dans La Chambre blanche, à la corruption dans le secteur du bâtiment.
La comparaison s’arrêtera là.
Autant Né sous les coups se focalise sur le devenir des mineurs réduits au chômage et sombrant dans l’alcool ou la drogue, autant dans La chambre blanche les malfaçons et magouilles de l’immobilier de rénovation restent des éléments de background. Toile de fond pour des thèmes qui abondent et s’égrènent de juin 1946 à juin 1974, en une fresque aux multiples protagonistes, où la vision pessimiste de l’auteur sur une société qui à tout instant se fait rattraper par ses démons, glace le sang.
La prostitution infantile, incarnée par le personnage de Monica Blacklock, puis par sa propre fille Mae, également violée et prostituée dans son enfance, impacte fortement le récit qui se réfère à l’histoire vraie de Mary Bell, l’enfant tueuse de deux garçonnets de trois et quatre ans. Un fait divers hallucinant qui s’est déroulé à Newcastle en 1968 et qui a profondément marqué l’écrivain, d’où des pages entières d’une cruauté et d’un sordide difficilement soutenables.
La criminalité sous différentes formes est également hyper présente grâce au personnage de Brian, le mac de Monica devenue adulte, qui rêve de devenir un personnage influent et respectable par « tous » les moyens ; un adjectif indéfini qui cache une pléiade d’actions malveillantes et criminelles, allant de la manipulation psychologique au meurtre.
La folie de Jimmy, l’un des fils de Ralph Bell l’entrepreneur du bâtiment, qui de nazillon de la pire espèce deviendra l’homme des basses-œuvres de Brian.
L’incapacité à échapper au mauvais sort, espèce de malédiction, qui s’acharne contre Jack Smeaton, ancien soldat traumatisé par ce qu’il a vu dans les camps allemands, rare héros sympathique du roman, qui adhère au discours du travailliste T. Daniel Smith élu maire de Newcastle, mais qui en devenant le bras droit de Ralph Bell va sceller son sort à ce dernier.
On peut ajouter à la liste, la politique, l’amour, la musique, l’univers des pubs et la psychologie (le dernier chapitre sur ce sujet n’étant pas forcément le meilleur), ingrédients romanesques saupoudrés dans un récit qui mêle personnages réels et de fiction.
Trop de thèmes peut-être, trop de personnages franchement détestables, à la limite de la caricature ?
La chambre blanche est un roman violent, écrit avec un soin diabolique pour ne rien épargner au lecteur. On atteint parfois un effet de saturation, mais, et c’est là où tout le talent de Martyn Waites éclate, on continue à tourner la page, à fixer chaque ligne, totalement hypnotisé par la noirceur de son univers.
Catherine Dutigny/Elsa
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