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La chaise du fond, Christian Milleret (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon 29.01.24 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman

La chaise du fond, Christian Milleret Éditions du Petit Pavé – Mars 2013 180 pages – 18 €

La chaise du fond, Christian Milleret (par François Baillon)

Le début du roman nous prépare à la possibilité d’une « libération » pour son héros, Vincent : en pleine fleur de l’âge, celui-ci ne cesse de ressentir chaque jour l’espace étriqué de son village, l’esprit étriqué de ses habitants – apparemment, ceux-là acceptent sans conscience un quotidien monotone et dépourvu de relief. Face à cela, Vincent attend impatiemment que s’achève le dernier été qu’il passera dans son village, car il a décidé de rejoindre la capitale, ses lumières et son cousin Tom. Obsédé par le destin d’un père mort trop tôt – un père alcoolique et parfois violent, trop intelligent pour supporter les vicissitudes d’une vie rétrécie –, le héros a pour ambition de « vivre » et d’affirmer une volonté dont semblait incapable son père. Néanmoins, ses plans demeurent incertains.

Le roman annonce ainsi le tressage d’un chemin de réussite, celui d’un « provincial » encore néophyte. La détermination du personnage est telle (notamment pour sortir de sa situation de départ) qu’on le croit prêt à braver tout obstacle et à dépasser, sur sa voie future, les derniers pans écroulés de sa naïveté. Mais si la réussite, en l’occurrence celle de Thomas, fait bien partie du paysage parisien dans lequel il tombe, les circonstances s’apprêtent lentement à favoriser la désillusion. La ville et ses lumières, convoitées avec tant de force, laisseront progressivement place à un espace plus obscur.

Quelques figures féminines égailleront la partie de ce destin qui se joue et tenteront d’éveiller Vincent à lui-même.

Les thèmes abordés ici mettent en avant des questions liées à notre condition initiale : peut-on en sortir quand celle-ci est insatisfaisante ? Et si oui, quels moyens s’offrent à nous ? L’évolution du héros met également l’accent sur l’importance du « cœur à l’ouvrage » et d’une détermination claire de nos vœux, d’une visualisation de notre route et de notre but. Les étapes successives du récit n’en sont pas moins surprenantes, inattendues même. La photographie figurant sur la couverture est fidèle à ce roman « nocturne », à son atmosphère que tentent de percer les réverbères de la capitale au-dessus d’une âme solitaire.

Le style de Christian Milleret, quant à lui, oscille avec harmonie entre un ton espiègle et familier et une prose imagée, nous rappelant que l’auteur est également poète et musicien. La narration ne s’embarrasse pas pour autant d’un lyrisme qui serait par trop enjolivant ou empreint de nostalgie : bien au contraire, le romancier tente de saisir le réel dans ce qu’il a de brut ou, parfois, de simplement contemplatif : « Cette ville était une chimère. Sa transparence donnait l’illusion d’une infinie liberté mais dès qu’on s’aventurait en dehors des sentiers balisés, on se fracassait contre ses murs de cristal. Les cloisons de verre ne figuraient pas sur les plans, ne portaient aucune trace de doigt, elles étaient translucides mais aussi solides que des tranches de quartz. » (p. 113) « Une brise froide et nerveuse soulevait le frêle tapis de feuilles, découvrait par endroits la grille qui ceignait la souche des platanes. Sur les vitrines de magasin coulait une lumière douce, le soleil se répandait en une onctueuse gelée cuivrée. » (p.74)

En somme, un roman maîtrisé, aux prises avec des questions essentielles, et dont la fin frappe comme un coup de poing.

 

François Baillon

 

Né en 1955, Christian Milleret est poète et compositeur de musique, ayant côtoyé les derniers grands noms du cabaret. Également journaliste et animateur en radio, il est l’auteur de neuf ouvrages publiés aux Éditions du Petit Pavé, dont un essai sur Philippe Torreton. Ses livres, notamment des romans, ont aussi paru aux Éditions Orep et aux Éditions de l’Aure Écarlate.



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A propos du rédacteur

François Baillon

 

Diplômé en Lettres Modernes à la Sorbonne et ancien élève du Cours Florent, François Baillon a contribué à la revue de littérature Les Cahiers de la rue Ventura, entre 2010 et 2018, où certains de ses poèmes et proses poétiques ont paru. On retrouve également ses textes dans des revues comme Le Capital des Mots, ou Délits d’encre. En 2017, il publie le recueil poétique 17ème Arr. aux Editions Le Coudrier.