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L’Ombre de l’eunuque, Jaume Cabré

Ecrit par Victoire NGuyen 11.03.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Babel (Actes Sud), Roman

L’Ombre de l’eunuque, trad. catalan Bernard Lesfargues, 480 pages, 9,70 €

Ecrivain(s): Jaume Cabré Edition: Babel (Actes Sud)

L’Ombre de l’eunuque, Jaume Cabré

 

Confessions d’un enfant du siècle

Julia, une jeune journaliste, invite Miquel Gensana dans un restaurant pour un dîner d’affaire. En effet, ils sont censés parler des circonstances imprécises de la mort de Bolos, un ami de Miquel. Cependant, la conversation dévie et se focalise sur la vie de Miquel Gensana ; ce dernier, surpris de se retrouver dans un restaurant qui fut jadis la maison familiale des Gensana, une famille bourgeoise qui était très en vue et qui s’est enrichie grâce à l’essor de l’industrie du textile au 19ème siècle avant de tomber dans l’oubli à la fin de la guerre civile.

Confronté à cette trouvaille de ce lieu de son enfance, Miquel Gensana se laisse aller et taquine sa mémoire afin que resurgisse l’odyssée familiale et ses vicissitudes liées à l’Histoire de l’Espagne et particulièrement la Catalogne. Bolos devient un prétexte, une palissade pour Miquel pour évoquer ses luttes politiques, ses amours déçues et sa vie sans gloire.

« Moi, à ce moment, j’arrivais à la conclusion que, dans mes quarante-huit ans de vie, je n’avais pas réussi à me libérer, même au risque de mourir, d’une espèce de mauvaise conscience institutionnelle et chronique (…) J’avais passé ma vie à ouvrir et fermer des étapes et le solde négatif était toujours pour mon âme ».

Le long récit-fleuve narrant des instants de vie du protagoniste, de sa famille et de son oncle Maurici, le « chroniqueur Officiel » de la famille Gensana, prend des airs de confession d’un enfant du siècle des révoltes et des bouleversements de l’Histoire. Le lecteur se pose des questions : pourquoi Miquel Gensana décide-t-il de parler à cet instant précis ? Est-ce Julia qui le pousse dans ses retranchements ? Est-ce le lieu familial devenu un restaurant huppé qui fait émerger le souvenir ?

Les motivations qui poussent à cette confession ne seront pas aussi clairement définies. Et c’est en cela que repose la subtilité et la finesse de l’auteur. Il tente seulement d’offrir aux lecteurs un personnage au bout de lui-même, revenu de ses illusions. Plus encore, au travers de Miquel Gensana, Jaume Cabré dissèque l’Espagne et sa métamorphose. Il dépeint une génération exaltée au lendemain du franquisme mais aussi une jeunesse désabusée, dépassée par son siècle. L’Ombre de l’eunuque c’est aussi une descente en soi-même afin d’y scruter ses contradictions, ses amitiés contractées, ses trahisons d’idéaux et ses échecs. Tout ceci orchestré par une écriture dense, poétique, mélancolique et finement ciselée.

« Miquel Gensana i Giro respira à fond pour réprimer un étrange pleur qui, surgi de très loin dans la mémoire, commençait à lui étreindre le cœur ».

 

Victoire Nguyen

 


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A propos de l'écrivain

Jaume Cabré

 

Né à Barcelone en 1947, Jaume Cabré est l’un des écrivains catalans les plus reconnus par la critique et les lecteurs, récompensé par le prix d’honneur des Lettres catalanes en 2010. Après de nombreuses années consacrées à l’enseignement, il s’est attaché à l’écriture de romans, nouvelles, pièces de théâtre, scénarios pour la télévision et le cinéma. Les éditions Christian Bourgois ont publié : Sa Seigneurie en 2004, L’Ombre de l’eunuque en 2006 et les Voix du Pamano en 2009. En 2013 paraît chez Actes Sud son roman Confiteor.

 

A propos du rédacteur

Victoire NGuyen

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Un peu de moi…

Je suis née au Viêtnam en 1972 (le 08 Mars). Je suis arrivée en France en 1982.

Ma formation

J’ai obtenu un Doctorat es Lettres et Sciences Humaines en 2004. J’ai participé à des séminaires, colloques et conférences. J’ai déjà produit des articles et ai été de 1998 – 2002 responsable de recherche  en littérature vietnamienne dans mon université.

Mon parcours professionnel

Depuis 2001 : Je suis formatrice consultante en communication dans le secteur privé. Je suis aussi enseignante à l’IUT de Limoges. J’enseigne aussi à l’étranger.

J'ai une passion pour la littérature asiatique, celle de mon pays mais particulièrement celle du Japon d’avant guerre. Je suis très admirative du travail de Kawabata. J’ai eu l’occasion de le lire dans la traduction vietnamienne. Aujourd’hui je suis assez familière avec ses œuvres. J’ai déjà publié des chroniques sur une de ses œuvres Le maître ou le tournoi de go. J’ai aussi écrit une critique à l’endroit de sa correspondance (Correspondance 1945-1970) avec Mishima, auteur pour lequel j’ai aussi de la sympathie.