L’Escalier de la rue de Seine, Fouad El-Etr (par Philippe Chauché)
L’Escalier de la rue de Seine, Fouad El-Etr, L’Atelier Contemporain, juin 2024, 280 pages, 25 €
Edition: L'Atelier Contemporain
« Comme je comprends que tu préfères laisser dormir ainsi chacun de tes pastels dans sa peau de pollen, sinon fleurir en poudre, comme dans un linceul, au gré des ans, plutôt qu’appeler sur eux les malédictions de la piqûre et de la rouille, qui sont les maladies héréditaires du dessin et du pastel en particulier » (Esquisse d’un traité du pastel, Lettre à Sam Szafran, Paris, le 9 octobre 1974).
« Ainsi ai-je inventé La Délirante, du beau nom d’un voilier qui croisait au large de Porquerolles, à deux encablures d’ici, pour aller à contre-courant en quête de l’Absolu. Ma ligne d’horizon a de tout temps été la poésie, pour autant que le délire en soit la possession » (L’Escalier de la rue de Seine).
L’Escalier de la rue de Seine est le roman d’un poète, éditeur et traducteur, Fouad El-Etr (1), et celui d’une amitié avec un peintre et dessinateur Sam Szafran. Cet escalier qui conduit à l’appartement de l’auteur deviendra celui de Sam Szafran, il l’apprivoisera, le dessinera, le peindra au pastel, pour devenir la signature de cette heureuse amitié. Cet escalier accompagne ce livre, il ne l’illustre pas, il l’éclaire. Entendez par roman, le récit brillant et ouvragé de cette vie consacrée à la Revue La Délirante, fondée en 1967, et aux éditions éponymes du même nom de baptême, un récit lumineux qui porte avec une grande rigueur littéraire ces histoires de passions et de déraisons. Une triple passion anime Fouad El-Etr depuis la fin des années 60 : la poésie, la peinture et l’édition. Il va donc construire pas à pas cet empire du bonheur baptisé La Délirante, un voilier qui ne craint, qui n’a craint aucun vent, aucune mer, même des plus déchainées. L’Escalier de la rue de Seine est un mémorial des rencontres de l’auteur avec ceux qui deviendront ses amis, avec des imprimeurs et des brocheurs aux mains agiles, avec des écrivains et des peintres qui vont l’accompagner dans cette aventure unique et inouïe, Gérard Barthélémy qui offre un portrait au fusain sur papier de Fouad El-Etr, Olivier O. Olivier, mais aussi Cioran, Octavio Paz, et Saint-John Perse : « Et voilà qu’il descend une marche, puis deux, cueille des cônes, encore verts, d’un cyprès, qu’il nous met dans les mains, visiblement ému, et nous suit longuement dans l’allée jusqu’au portail, levant les bras ».
L’Escalier de la rue de Seine témoigne d’un temps passé, mais jamais oublié, qui résonne encore aujourd’hui, d’un artisanat d’art où chaque dessin, chaque poème, est pesé comme de la poudre d’or. Fouad El-Etr est un orpailleur des lettres et du pastel, un passeur heureux.
« Je naviguais ainsi à contre-courant, sans me douter qu’il s’inverserait peut-être, en votre compagnie, mes peintres, mes poètes, ô mes plus chers amis. S’agissait-il de mériter le vent, je hissais sciemment les voiles musiciennes ».
Cinquante ans séparent Esquisse d’un traité du pastel de L’Escalier de la rue de Seine, le temps qu’une revue naisse, qu’une maison d’édition fleurisse et avec elle des traductions de poèmes de Yeats, Les Sonnets amoureux de Francisco de Quevedo, L’Ermitage d’Illusion de Bashô, ou encore Rimes pour Dame Pierre de Dante, sans oublier les ouvrages de Fouad El-Etr.
La Délirante est ainsi armée de mille voiles toutes plus flamboyantes les unes que les autres ; cet ouvrage magnifiquement édité par François-Marie Deyrolle les met en lumière, de cette douce lumière méditerranéenne où l’on entend le souffle du Liban, la terre première de Fouad El-Etr.
Philippe Chauché
(1) Nous avions échangé avec l’auteur à l’occasion de la parution chez Gallimard de son roman En mémoire d’une saison de pluie :
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