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L’Amour, Marguerite Duras

Ecrit par France Burghelle Rey 14.03.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman

L’Amour, 144 pages, 6,50 €

Ecrivain(s): Marguerite Duras Edition: Folio (Gallimard)

L’Amour, Marguerite Duras

 

Duras ou l’émotion poétique

Marguerite Duras, dès les premières lignes de L’Amour, par l’économie des moyens, suggère du regard le plus pénétrant, observe ses personnages, leurs mouvements, le paysage dans lequel ils évoluent. Cette simplicité induit une émotion nourrie du dépouillement des êtres devant l’absurde, la même émotion que l’on ressent en lisant de la poésie sauf qu’ici ce n’est pas de la poésie.

« Jour » : une soudaine lumière en un seul mot comme un choc pour le lecteur qui se laisse porter. On entre alors dans autre chose. Même si l’histoire semble banale – mais il est vrai qu’on avance sans vraiment comprendre dans un mystère et un monde nouveaux – Duras ménage presque à chaque page des surprises avec ses flashes inattendus. Mais elle en dit plus qu’elle n’en a l’air. De la femme « pâle » chaque lecteur dégage ce qu’il sent : la maladie, la solitude qui ne sont pas dites, comme s’il y avait absence de vie intérieure. Les yeux « s’ouvrent douloureusement », plus loin le geste de la femme est « d’une tendresse désespérée ». Mais que valent ces hypallages par rapport à une poétique qui est ici celle du corps ? Les mots « crient », « dévorent », « sang », continuent à faire choc comme le mot « enfant » qui contrastent inhabituellement avec « bonheur ».

Paradoxalement, si elle ne comporte aucune trace de lyrisme, l’écriture durassienne est porteuse d’une émotion qui la rend proche de la poésie.

L’écrivaine peint par touches juxtaposées sans adjectifs, sans nuances donc. Elle filme partout où porte son regard, contemporaine par un art qui, chez elle, se dépouille, ne tient par rien, à la limite d’un silence qui fait encore miraculeusement musique. Son regard-caméra opère page après page des travellings que nous suivons avec l’obéissance du lecteur qui cherche son émotion en voulant encore comprendre.

« Après Duras, il est difficile d’exprimer un quelconque silence car elle l’a fait sans cesser de nous nourrir. Nous sommes nourris, entre autres, dans L’Amour par ce cri qui nous a déjà marqués dans Moderato Cantabile » (1).

Duras et l’absence

A la fin du livre l’absence envahit contradictoirement le texte car elle concerne tout et tous. La nature a disparu, les parcs aussi, la mer « s’éloigne ». Il ne reste plus que le vent « violent » et le soleil mais celui-ci fait dormir et c’est une autre forme d’absence encore. Après qu’ils se sont arrêtés de marcher, de bouger, plus de mouvement encore pour les personnages pris par le sommeil, nécessité annoncée, dès le début du livre où il s’agissait déjà de dormir ou de mourir. Plus de clefs pour la salle où le bal n’a plus lieu. L’absence règne aussi par les interdits puisqu’« on n’a pas le droit d’ouvrir ». Elle devient sœur de l’oubli quand on lit la phrase-clef prononcée par le voyageur « Je ne sais plus rien » qui rappelle la voix de Rimbaud dans « Matin » criant : « Je ne sais plus parler ».

L’absence envahit jusqu’à l’écriture où se répètent sans cesse les locutions négatives. Ainsi le présent n’apporte-t-il aucune compensation aux objets et souvenirs disparus. Seul revient le mouvement puisque regard il y a toujours, exactement comme la fonction crée l’organe, un mouvement qui suit la marche, les marées, la lumière. La plupart des autres sens sont actifs car on entend les sirènes, on voit du rouge. Il reste ainsi un sursaut de vie avant la catastrophe. Comme si on sortait du rien, du néant avant la décoloration finale, celle de la mer et du ciel, qui nous fait revenir aux premières pages de l’histoire où la couleur avait déjà disparu.

Si les paroles ont été porteuses de silence, le silence, à lui tout seul, a porté le sens, celui de la mort métaphorisée par cette absence nommée par touches successives. « Comme si on était en présence du travail d’une photographe aux prises avec le développement de sa pellicule et prisonnière de sa chambre noire » (2).

 

France Burghelle Rey

 

(1) Citation de Claude Roy à propos de Moderato Cantabile : « Madame Bovary réécrite par Béla Bartók »

(2) Œuvre au clair, 104 et le Nouveau roman : Une école du regard, 111

 

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A propos de l'écrivain

Marguerite Duras

 

Marguerite Duras, nom de plume de Marguerite Germaine Marie Donnadieu, est une écrivaine, dramaturge, scénariste et réalisatrice française, née le4 avril 1914 à Gia Dinh1 (autre nom de Saïgon), alors en Indochine française, morte le 3 mars 1996 à Paris.

Par la diversité et la modernité de son œuvre, qui renouvelle le genre romanesque et bouscule les conventions théâtrales et cinématographiques, elle est un auteur important de la seconde moitié du xxe siècle, quelles que soient les critiques qui aient pu être adressées à son œuvre.

En 1950, elle est révélée par un roman d'inspiration autobiographique, Un barrage contre le Pacifique. Associée, dans un premier temps, au mouvement duNouveau Roman, elle publie ensuite régulièrement des romans qui font connaître sa voix particulière avec la déstructuration des phrases, des personnages, de l'action et du temps, et ses thèmes comme l'attente, l'amour, la sensualité féminine ou l'alcool : Moderato cantabile (1958), Le Ravissement de Lol V. Stein(1964), Le Vice-Consul (1966), La Maladie de la mort (1982), Yann Andréa Steiner (1992), dédié à son dernier compagnon Yann Andréa, écrivain, qui après sa mort deviendra son exécuteur littéraire, ou encore Écrire (1993).

Elle rencontre un immense succès public avec L'Amant, Prix Goncourt en 1984, autofiction sur les expériences sexuelles et amoureuses de son adolescence dans l'Indochine des années 1930, qu'elle réécrira en 1991 sous le titre de L'Amant de la Chine du Nord.

Elle écrit aussi pour le théâtre, souvent des adaptations de ses romans comme Le Square paru en 1955 et représenté en 1957, ainsi que de nouvelles pièces, telle Savannah Bay en 1982, et pour le cinéma : elle écrit en 1959 le scénario et les dialogues du film Hiroshima mon amour d'Alain Resnais dont elle publie la transcription en 1960. Elle réalise elle-même des films originaux comme India Song, en 1975, ou Le Camion en 1977 avec l'acteur Gérard Depardieu.

 

A propos du rédacteur

France Burghelle Rey

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : poésie, littérature

Genres : recueils, essais, récit

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, éditeurs divers

France Burghelle Rey est Paris, a enseigné les Lettres classiques et vit actuellement à Paris où elle écrit et pratique la critique littéraire. Elle est membre de l'Association des Amis de Jean Cocteau et du P.E.N. Club français.

Plus de cent textes parus dans de nombreuses revues et anthologies ainsi que plus de soixante-dix notes critiques(Nouvelle Quinzaine littéraire, Poezibao, Europe, La Cause littéraire, Place de la Sorbonne, CCP, Recours au poème, Texture, Temporel etc.).

Elle a écrit une quinzaine de recueils dont Lyre en double paru aux éditions Interventions àHaute voixen 2010 puis chez La PorteRévolution en 2013 suivi de Comme un chapitre d'Histoire en 2014 et de Révolution IIen 2016. Le Chant de l'enfance(Prix Blaise Cendrarsadultes) a été publié aux éditions du Cygneen juillet 2015, Petite anthologie, ( Confiance, Patiences et Les Tesselles du jour )chezUnicitéen 2017 et Après la foudrechez Bleu d'encreen 2018.

 

Les derniers textes augmentés de L'Enfant et le drapeau (à paraître chez Vagamundo), naissance rédemptrice d'un " ange " dans un monde en désolation, veulent exprimer l'expression d'une nécessaire présence au monde en souffrance. Elle achève en 2017 un recueil encore inédit en trois parties sur le thème du lieu puis en 2018 commence un récit poétique.

 

Elle a collaboré avec des peintres (Georges Badin) et la graveur Hélène Baumel pour un certain nombre de livres d'artistes.

L'un des ses romans, le premier,  L'Aventure, est publié chez Unicitéau printemps 2018

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