L’Alephebet – Didier Ben Loulou (par Philippe Chauché)
L’Alephebet – Didier Ben Loulou – Arnaud Bizalion Éditeur – 96 p. – 25 euros – 23/09/25.
Ecrivain(s): Didier Ben Loulou
« Les lettres, gouttes de semence, deviennent ainsi la trace d’une réalité supérieure. Les écrire, les lire sont une manière de remonter à la source première. Elles véhiculent une énergie divine qui dépasse le simple message. Les photographies ont une façon de poursuivre l’acte créateur de Celui qui a tout créé à partir d’elles. »
L’Alephebet est l’alphabet en hébreu, comptant vingt-deux lettres, et selon la tradition kabbalistique, Dieu aurait créé le monde en agençant ces vingt-deux caractères qui composent l’Alephebet. Des lettres carrées qui vont fonder une langue et plus encore. Ces lettres aux résonances inouïes, au graphisme à aucun autre semblable ; le photographe écrivain les découvre, comme l’on découvre une source miraculeuse, il sait que le temps lui appartient, alors il prend son temps pour les voir, les photographier, les laisser s’imprimer en sa mémoire et dans sa chair.
Ces lettres sacrées sont gravées sur des pierres reposant parfois sur des tombes de cimetières, dont Didier Ben Loulou nous rappelle le sens, « la maison des vivants », Beit ha Haïm, il en est le passeur, le témoin vigilant et inspiré, et ses photos éblouissantes nous irriguent de vie et de lettres. Il les photographie et nous les offre, lumineuses et secrètes, fortes de milliers d’années d’histoires et d’Histoire, ce que les terroristes islamistes palestiniens veulent rayer d’un trait d’arme automatique. Si des êtres tombent, les lettres résistent, si des hommes résistent, les lettres les éclairent. Ces lettres photographiées, et admirablement imprimées par Arnaud Bizalion, fidèle éditeur de l’auteur, tracent les lignes d’un ouvrage exceptionnel, par sa force, sa grâce, sa douleur, et sa lumière de vie. Si les photographies de Didier Ben Loulou témoignent de tout cela, ses réflexions inspirées les éclairent et les nourrissent.
« L’exil du peuple juif s’apparente à celui de Dieu. C’est de la mise à l’écart d’un peuple exclu, de la solitude, que je tente de témoigner. Ce peuple n’a cessé d’être confronté aux nations tout au long de son histoire sans perdre ni sa permanence ni son isolement. »
« Mon destin est de creuser un sillon dans ces paysages, de retrouver la lettre dans le bleu du monde. Plus rien ne peut vraiment compter. Je dois résister, sûr de cette révélation, en écho à ceux qui « ont vu les voix » (Ex 20, 15). »
L’Alephebet est peut-être le livre le plus profond, le plus aigu, le plus nécessaire, de Didier Ben Loulou, il allie la beauté troublante des photographies à une profonde pensée en mouvement, une méditation qui trouve ses sources dans les lettres et les livres. Didier Ben Loulou lecteur de Paul Celan et d’Edmond Jabès, du Talmud et de la Kabbale, lecteur attentif, et passeur admirable de ces éclats de pensées mystiques, nourri d’ouvrages fondateurs de la pensée juive. Didier Ben Loulou laisse les couleurs irriguer ses photos, le bleu offert dans toutes ses nuances, comme une mer profonde reflétant le bleu du ciel, pour Rabbi Meïr que cite l’auteur c’est la couleur du trône céleste. D’où vient la force, la grâce, et la vive lumière qui illuminent cet ouvrage : de l’œil, l’œil qui voit et qui écrit, l’œil, cette mémoire infaillible, dont est doté l’auteur ; il voit et nous fait voir la mémoire et la trace physique des lettres hébraïques, qui est celle d’une terre et des hommes qui y vivent, y marchent et y lisent.
Philippe Chauché
Didier Ben Loulou a notamment publié Seaside, Judée, Sanguinaires (La Table Ronde), Une année de solitude, Mise au point, conversations avec Fabien Ribery, Un hiver en Galilée (Arnaud Bizalion). https://www.lacauselitteraire.fr/entretien-avec-didier-ben-loulou-par-philippe-chauche
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