Julien Gracq, Nora, une passion surréaliste, Roger Aïm (par Philippe Chauché)
Julien Gracq, Nora, une passion surréaliste, Roger Aïm, Editions Infimes, janvier 2024, Préface Irène Frain, 90 pages, 12 €
« À l’heure de l’apaisement du monde, Nora occupe l’intime de son être. Ancré dans sa timidité, il ne pouvait aimer qu’avec une passion retenue à l’écart de tous, son étoile Bulgare au regard doux, au sourire léger, à la démarche enjouée, née un 29 septembre 1921 à Sofia ».
« N’appartenant qu’à elle-même, volant toujours de ses propres ailes et dans les directions qu’elle assumera toujours de choisir, Nora, femme libre, sans fards, façonne sa liberté et construit, jour après jour, sa vision du bonheur ».
En lisant Julien Gracq, Nora, une passion surréaliste, on ne peut que rappeler que tout exercice d’admiration qui n’est pas porté par celui de la langue, est vain. Roger Aïm est l’un des grands lecteurs de Julien Gracq, fidèle à l’art romanesque et poétique de l’ermite de Saint-Florent-le-Vieil ; et les petits livres qu’il lui a consacrés (1) sont tous ambrés d’une même passion littéraire, nourris d’un exceptionnel savoir savoureux de l’œuvre de Julien Gracq.
En écrivant avec style et passion, il nous invite à lire, en lisant, il nous propose à notre tour d’écrire notre admiration pour l’auteur d’un Balcon en forêt. Si ce petit livre poursuit le vagabondage dans l’œuvre de Julien Gracq, il s’aventure à nous faire voir, dans le miroir de son récit romanesque, la figure vivifiante et en mouvement de Nora Mitrani, l’amoureuse de la liberté libre et du surréalisme, qui en fut l’un des éclats, et dont les scintillements éblouirent Julien Gracq. Finalement, et c’est heureux, nous ne saurons que peu de choses de cette passion, de cet amour partagé entre le plus silencieux des écrivains français, et Nora, la brillante surréaliste juive qui a échappé à la Rafle du Vel d’Hiv et à la mort programmée des Juifs d’Europe.
« Julien et Nora sont deux étoiles qui se sont reconnues. Il a découvert avec elle un autre ciel, plus vaste, plus libre, troublant et ensorcelant. Avec Nora, Gracq a franchi une frontière ».
Roger Aïm ouvre ici un coffret magique littéraire, peut-être à la manière de ceux qui pouvait offrir André Breton, de très courts chapitres où tout est dit, avec finesse et justesse, sans effet, sans fioritures, sans lourdeurs, sans postures, sans vouloir en aucun instant jouer au surréaliste. En quelques phrases on se plonge dans la vie de Julien Gracq et dans celle de Nora, reine des anagrammes, lectrice de Sade, de Rimbaud et Nerval. Roger Aïm nous la décrit à Venise en compagnie de son complice en amour, puis la maladie s’invite, elle perd pied, Gracq est là, l’homme des absences est un bienfaiteur amoureux de la présence.
Philippe Chauché
(1) Julien Gracq, 3 rue du Grenier à Sel, éd. Portaparole ; Julien Gracq, L’ultimo dei classici, Portaparole ; Julien Gracq, Jour d’octobre, éd. Christian Pirot ; Histoire d’un refus, Julien Gracq, Prix Goncourt 1951, La Simarre https://www.lacauselitteraire.fr/pierre-reverdy-ecrire-pour-survivre-roger-aim-julien-gracq-prix-goncourt-1951-histoire-d-un-refus-essai-roger-aim-par-philippe-chauche
On doit aussi à Roger Aïm un réjouissant petit livre, Dans mes carnets (Domens Poche, 7,50 €), un collectage de vagabondages littéraires, de citations empruntées et rapportées avec le talent d’un géographe voyageant dans des contrées littéraires si lointaines et si proches, où l’on croise Pierre Michon, François-René de Chateaubriand, Amiel, Jean Cocteau, et tant d’autres. L’auteur les présente ainsi : « De petites gommettes, mes lucioles de couleurs, épinglent formules, citations, pensées, mots d’auteurs qui m’ont depuis des années fait signe ».
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