Journal. Vol. II 1964-1980, Susan Sontag
Journal. Volume II 1964-1980, préface de David Rieff, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Rabinovitch, mai 2013, 574 pages, 24 €
Ecrivain(s): Susan Sontag Edition: Christian Bourgois
« Je veux que la rencontre avec une personne ou une œuvre d’art change tout », disait-elle.
Sous-titré Renaître, le volume I de l’immense Journal de Susan Sontag, publié en 2010 par Christian Bourgois, couvrait les années 1947-1963. Désormais disponible chez le même éditeur, le deuxième volet du triptyque attendu, La Conscience attelée à la chair (1964-1980), entre de plain-pied dans la période de maturité intellectuelle, qui voit écrire celle qui se définit elle-même comme une « cagienne-franco-juive » parmi ses essais majeurs (Sur la photographie, 1977).
On y suit donc, sur un mode intime, le filigrane d’une œuvre et d’une pensée inquiète et en questionnement permanent à la fois sur les déchirements du monde comme sur la difficulté d’être, d’aimer, d’écrire, de vivre, c’est-à-dire de penser. Les notes sont très hétérogènes, parfois d’une brièveté laconique, parfois se développant au contraire sur des pages et des pages, parfois quotidiennes, parfois espacées de plusieurs semaines, plusieurs mois. Mais c’est, à travers cet « esprit d’escalier chronique » qu’elle avoue au hasard d’une brève, toujours une même exigence d’honnêteté qui s’y lit, un même désir de lucidité auquel l’exercice du journal offre le recours d’une écriture confidente.
Amours tourmentées (Irene, Carlotta…), maternité problématique (de sa mère à elle, « j’étais la mèrede ma mère », à David, ce fils qu’elle a eu à 19 ans, et qui édite aujourd’hui cette correspondance), notes de lecture (sur Nathalie Sarraute, Roland Barthes, Sartre…) ou de voyages (Rome, Venise, Paris, Tanger…), réflexions sur l’art (cinéma, photographie, peinture…) ou la politique (un long passage est consacré à son voyage au Vietnâm, cette « première guerre télévisée » pour laquelle, abêtie d’images, « la capacité à réagir diminue », et où elle expérimente amèrement l’aberration communiste…).
Parfois ce sont de longues listes de mots à intégrer, à apprendre, des listes de livres à lire ou à relire, de films à voir ou à revoir, de musiciens pop ou classiques…
Le tout tient à la fois de l’autoanalyse et du vide-poche intellectuel, et constitue un document de premier intérêt pour quiconque voudrait pénétrer dans l’atelier mental d’une figure aussi considérable que Susan Sontag. Et le moins étonnant au final n’est pas que le lecteur se retrouve avec un passionnant volume qui se parcourt comme on retrouve un de ces rares amis qui sauraient, de loin en loin, nous poser les vraies, les bonnes questions.
Frédéric Aribit
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