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Histoire du monde 1, Les âges anciens, John M. Roberts et Odd Arne Westad

Ecrit par Vincent Robin 04.04.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Histoire, Perrin

Histoire du monde 1, Les âges anciens, janvier 2016, trad. anglais Jacques Bersani, 460 pages, 22 €

Ecrivain(s): J.M. Roberts et O.A. Westad Edition: Perrin

Histoire du monde 1, Les âges anciens, John M. Roberts et Odd Arne Westad

 

« Ce qui a engendré le monde où nous vivons aujourd’hui ». Dans l’introduction générale de ce livre, le Norvégien Odd Arne Westad précise l’optique recherchée par son confrère John Roberts lorsque, à partir de la fin du XXe siècle et jusqu’au soir de sa vie (il décéda en 2007), l’historien anglais s’était attelé à la réalisation de son Histoire du Monde. Précédemment rééditée en anglais (2012) mais maintenant traduite en langue française par Jacques Bersani, l’œuvre complète se décompose en trois tomes, au traitement global sensiblement remanié par le Norvégien.

Assignés chacun à des moments délimités de l’histoire universelle des hommes et des sociétés diversement apparues de leur fait, les trois volumes se consacrent à des périodes de longueurs inégalement proportionnées. Une palette colorée de styles de vie et de modes sociaux nés aux antipodes de la Terre se prête ainsi successivement à l’étude du rapporteur (cette diversité sera sa profonde originalité).

Fort souvent sans lien entre elles, au regard de leurs fondements spécifiques ou de leurs expressions atypiques, les sphères sociales visitées interviennent toutefois dans le respect d’un cadre temporel commun pointé sur la trame chronologique. La matière explorée n’est pas suspendue à la quantité des hommes constituant un ensemble. Il faut bien le remarquer pourtant, la part prise par les plus conséquentes réunions d’individus retient fatalement sur elle un propos plus étoffé. Du plus ténu rassemblement tribal ou dynastique depuis les origines de l’homme jusqu’aux formes bientôt complexes de civilisations véritables, en passant bien entendu par des unités sociales de poids intermédiaires, s’épaissit tant et si bien ce volumineux dossier.

La première partie du travail recouvre les ères diversement durables au long desquelles, depuis Homo sapiens – et même avant lui – jusqu’à l’époque européenne des Mérovingiens, nos variés ascendants auront signalé, de façon dispersée et originale, leur présence à la surface du globe. Les Âges Anciensintitulent le premier volet du triptyque, dont le propos s’étale alors des temps préhistoriques jusqu’au VIe siècle post-christique. Parce qu’elles indiquent un enchaînement logique qui les distingue aussi par mode d’interprétation scientifique, les phases abordées dans ce tome reçoivent les intitulés de : 1) Avant l’Histoire2) Les Civilisations, et 3) L’Âge Classique.

Moins que la question de sa nette perfection morphologique, ce qui amena chez l’homme des origines les performances manifestement croissantes de son esprit et de son savoir-faire, s’inscrit sans doute comme le plus déroutant mystère auquel se heurte aujourd’hui son dernier descendant. Australopithèque, Homo erectus, Homo sapiens rendent bel et bien compte d’une chaîne évolutive sur ce point. Même si, sur ces considérations, l’arbre de leurs affirmations masque parfois avec peine la luxuriante forêt des conjectures tout encore très enracinée derrière lui, comme on le voit ici nos historiens n’en livrent pas moins, au regard des découvertes récentes de l’archéologie notamment, une série d’observations relatives aux activités humanoïdes aboutissant sur de déterminantes implications théoriques. « La réussite inégalée de notre espèce tient en effet à la remarquable intensité avec laquelle elle n’a jamais cessé d’agir et de créer, à la capacité qui est la sienne, au bout du compte, de provoquer du changement » (p.20). L’idée d’une « réussite » resterait pourtant bien générique si elle ne s’appuyait sur de concrets et marquants points d’évolution : « La plus grande des avancées techniques et culturelles de la préhistoire eut lieu quand un certain nombre de ces créatures (homininés) apprirent à se servir du feu » (p.36). Il n’y aurait dans ce constat rien de très novateur s’il ne s’accompagnait aussitôt du soin des narrateurs précisant combien ces phénomènes nécessitèrent un processus long et lent : « Imaginons une sorte de grande horloge sur laquelle un de nos siècles équivaudrait à une minute et voyons le résultat » (p.21). C’est aussi grâce aux classifications des archéologues que s’impose la convention des répartitions successives et temporaires liées à ces plus profondes et laborieuses évolutions. De façon schématique mais commode par consensus, la courbe évolutive fait apparaître ainsi les transitions du Paléolithique au Mésolithique puis au Néolithique. Un détail important que mentionnent les auteurs explique tout l’intérêt de l’historien porté à cette encore assez floue mais vaste nébuleuse de notre genèse, où l’univers du caillou détient toujours souvent et finalement presque à lui seul l’ensemble des témoignages de l’éloquence humaine. A l’orée d’il y a -10.000 ans, une marque extra-minérale livre pourtant d’un seul coup son verdict : « A la fin du Paléolithique supérieur, l’homme possédait sur le plan physique la plupart des caractéristiques que nous lui connaissons aujourd’hui » (p.61).

Hormis sa manière simple et précise de la décrire à ce terme, la mutation quasi soudaine du statut universel de l’homme chasseur-cueilleur en celui d’agriculteur, puis aussitôt en celui de promoteur d’une économie à vocation urbaine et collective, ne sera pas en ce livre l’originalité la plus fracassante. Non plus que, dans un contexte voisin, et tout comme le souligne également l’historien Yuval Harari dans sa Brève Histoire de l’Humanité récente, la naissance inopinée de l’écriture. On relèvera toutefois la prépondérance qu’entend donner Roberts à ces tranchants phénomènes : « L’importance de cette transformation fut si grande qu’elle semble justifier un terme aussi fort que celui de révolution » (p.61). Une telle ampleur donnée aux mutations nous amène en effet à comprendre le surgissement bientôt prompt et conséquent des civilisations qui vont suivre. Parmi les peuples ayant apporté leur pierre à l’édifice, se retiendra la part prépondérante des populations d’un relatif voisinage méditerranéen : Sumériens, Hittites, Babyloniens, Egyptiens, Achéménides, Grecs et Romains. De façon plus inattendue ou inédite au travers de cette revue, interfèreront cependant certaines structures sociales orientales, chinoises et indiennes plus particulièrement, ouvrant en cet ouvrage la voie à de nouvelles et précieuses analyses comparatives.

Non point depuis la nuit des temps mais seulement depuis un peu plus de deux siècles maintenant, se seront vus éclore avec une régularité constante les travaux d’historiens occidentaux consacrés à une (ou leur) « histoire du monde ». Il n’est qu’à consulter la multiplicité des répertoires écrits recouvrant d’assez près cette large exploration pour très rapidement s’en convaincre. On rappellera ici le champ littéraire français probablement le plus éminent en citant les travaux de Fernand Braudel (La Méditerranée, L’Espace et l’Histoire/Grammaire de la civilisation), ceux de René Grousset dans sonHistoire Universelle ou encore Arnold Toynbee dans sa Grande Aventure de l’humanité. Mais, comme le précise à juste titre l’un des comptables anonymes des recensements du genre : « l’expression histoire du monde ne désigne pas l’histoire de la Terre mais l’histoire humaine, de l’apparition de l’Homo sapiens à nos jours ». Ce point d’ambiguïté levé, il reste à comprendre quelle fut chaque fois la finalité propre recherchée par tous ces auteurs, chacun à leur tour besogneux compilateurs de la chronique humaine. Un débat porté sur la comparaison des démarches entre les historiens nous emmènerait trop loin ici pour dégager la singularité profonde du sens donné par John Roberts et son confrère « réajusteur » Odd Arne Westad à ce qu’il convient d’appeler désormais « leur commune histoire du monde ». Remarquons toutefois que le second ne se sera pas privé de souligner dès aux premières lignes du tome I la divergence qui les opposa sensiblement sur ce critère : « Nous croyons tous deux, par exemple, que, durant la période qui va du XVIe au XXe siècle, l’histoire du monde fut dominée par la montée en puissance de l’Occident. Mais nous divergeons cependant sur les origines de cette grande accélération ». Le même précisait antérieurement : « Quand nous sommes en désaccord (du fait, la plupart du temps, de nouveaux acquis de la science historique), la conversation devient alors un débat où s’affrontent des opinions » (p.15).

Pour résumer en quelques mots la vision de Roberts dans ce projet dont il fut l’initiateur, on retiendra alors qu’il voulait « éviter les détails et mettre en valeur les processus historiques majeurs, ceux qui ont affecté une quantité considérable d’êtres humains et laissé un héritage substantiel aux générations futures… » (p.15).

Circonscrire et même détailler l’histoire de l’humanité en la réunissant à terme dans une œuvre littéraire de grande ampleur ne saurait se situer, y compris à l’heure actuelle, à la portée de n’importe qui. Probablement serait-il illusoire de considérer qu’il suffirait de recourir à la manne encyclopédique pour y parvenir. En outre, et tout comme pourrait le sous-entendre un prélèvement désormais ultra rapide et aisé des informations planétaires en libre circulation, la mise bout à bout de la plus exhaustive somme d’études produites par les meilleurs érudits ou spécialistes ne suffirait pas même à garantir la valeur finale d’un rapport sur ce sujet. Car, s’agissant de l’homme sur terre depuis ses origines jusqu’à maintenant, sans la manière éprouvée d’un regard analytique jeté sur les modes et les tendances de son constant devenir, seule une froide et fastidieuse énumération d’événements contigus nous reviendrait. D’un point de vue historique, connaître la texture charnelle des individus pèsera toujours moins que de savoir décrypter et référencer les différentes articulations sociales apparues dans leurs réunions. Cela ne fait guère de doute alors, en consacrant à son Histoire du Monde une méthode avisée et sûre, en lui dédiant la science et la finesse de son regard aguerri, l’historien britannique John Roberts se mettait à coup sûr à l’abri des plus graves écueils touchant à ce défi. Un tel projet accompli, pour la somme exceptionnelle de travail qu’il induit, demeure suffisamment rare pour ne pas se voir d’entrée accueilli par un reconnaissant salut.

On ne saurait tenir grief à John Roberts de sa dépendance culturelle souvent modérément émergeante dans son travail quand, quelquefois pourtant, l’abrogation de certaines lois de la gravitation planétaire autour d’un très attractif noyau insulaire ou même continental aurait peut-être permis d’oublier que le regard et le jugement sont si dépendants d’un seul et même lieu d’observation. Entre autres marques de ce penchant, certains débordements émotionnels insistants et ajustés aux contours de l’avènement christique auraient-ils pu rester davantage réservés aux décrypteurs de foi chrétienne plutôt qu’aux curieux de la stricte séquence historique. Toute la sympathie que peut inspirer Augustin d’Hippone doit-elle à ce point justifier une approche de sa crispante Civitas Dei autant que son ascension vers un crypto-intégrisme, aussi bien manichéen que d’adhésion romaine ? D’autres points sensibles apparaîtront probablement au lecteur au long de ce premier condensé d’aventures humaines dépeint avec le souci de sa plus grande couverture. On pourra donc se questionner également sur l’apparition presque accidentelle d’un Périclès chez les Grecs de l’ère classique tandis que le très prisé Homère surgira aussi sans les doutes assez largement attachés récemment à la réalité de son existence formellement individuelle…

Une lecture qui s’impose pour l’importante somme de connaissances réunies, amenant souvent l’analyse pertinente de leur infléchissement sur le déroulement historique. Ce premier épisode invite assurément à la lecture de ceux qui suivent.

 

Vincent Robin

 


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A propos de l'écrivain

J.M. Roberts et O.A. Westad

 

Figure intellectuelle britannique, John M. Roberts a enseigné aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, notamment à Oxford au Merton College avant de devenir vice-chancelier de l’université de Southampton. Auteur de nombreux ouvrages de référence, son maître-livre reste cependant cette Histoire du Monde, acclamée par la critique et plébiscitée par le public dès sa première édition.

 

O.A. Westad est un historien norvégien

 

A propos du rédacteur

Vincent Robin

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : histoire, politique et société

Genres : études, essais, biographies…

Maisons d’édition les plus fréquentes : Payot, Gallimard, Perrin, Fayard, De Fallois, Albin Michel, Puf, Tallandier, Laffont

 

Simple quidam, féru de lecture et de la chose écrite en général.

Ainsi né à l’occasion du retour d’un certain Charles sous les ors de la République, puis, au fil de l’épais, atteint par le virus passionnel de l’Histoire (aussi du Canard Enchaîné).

Quinquagénaire aux heures où tout est calme et sûrement moins âgé quand tout s’agite : ce qui devient aussi plus rare !

Musicien à temps perdu, mais également CPE dans un lycée provincial pour celui que l’on croirait gagné.

L’essentiel paraît annoncé. Pour le reste : entrevoir un rendez-vous…