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Griffes 25 (par Alain Faurieux)

Ecrit par Alain Faurieux le 18.11.25 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Griffes 25 (par Alain Faurieux)

 

La Maison Vide, Laurent Mauvignier. 2025. Les éditions de Minuit, 752 p. 25€

Avouons-le, ce très gros pavé est du sur mesure pour le jury Goncourt. Et les lecteurs des gros volumes qui ont eu le prix Goncourt, et les acheteurs de cadeaux sans risque grâce au prix Goncourt. Pour ma part, il m’est tombé des mains plusieurs fois, pas en raison du poids mais d’un ennui considérable. Le pacte de lecture lecteur/auteur est resté lettre morte. Pourtant tout est fait pour nous vendre la saga : l’histoire familiale étirée sur quatre générations, la France des campagnes dont on parle trop peu (mon œil Laurent), les secrets de famille, le poids des non-dits sur l’auteur lui-même, le respect d’une tradition littéraire. Relirais-je aujourd’hui avec le même plaisir Les semailles et les Moissons d’Henry Troyat ? Je ne sais pas du tout. Bref, nous avons des portraits savoureux de paysans rugueux, de propriétaires âpres au gain, de vendeuses lubriques et de notaires grisâtres.

« Elle prend le temps de retrouver les ombres de son enfance, croise les vieilles qui l’ont bercée et lui ont appris les histoires de loups et d’ours dont elle a pu faire des cauchemars ; elle s’arrête devant chez les vieilles, les regarde qui parlent avec leurs poules en leur jetant à la volée des graines qu’elles vont chercher au fond de leur tablier, le dos toujours courbé à force de vivre à hauteur des volailles– Jeannette au dos qui forme un angle presque droit, de sorte qu’elle passe sa journée les yeux tournés vers la terre –, toutes ces femmes en noir aux visages craquelés, aux corps brisés, dont les maris ont disparu depuis tellement longtemps que Marie-Ernestine ne les a jamais connus autrement que dans les voix de leurs veuves. ». Les guerres passent, les femmes restent. Et c’est là le propos de Mauvignier. Rusé le compère, il va nous vendre un roman qui n’est pas comme la compétition : oubliez les dizaines d’autofictions qui embouteillent les livraisons des librairies : je ne fais pas une recherche dans les archives du canton ou des églises, je ne vais pas chercher des liens généalogiques perdus ou parcourir la France sur les traces de témoins un peu séniles. Adieu Kolkhozes, adieux beaux obscurs, Mauvignier se contentera de bribes, de souvenirs presque effacés, de miettes laissées entre les plis des nappes. Et à partir de ces bribes il va, entreprise digne de louanges - il nous le dit à maintes reprises - non pas reconstruire ou recréer mais imaginer ce qui a pu être. Et le lecteur va se plonger dans ces vies minuscules, etc. etc. Et pour moi cela n’a pas fonctionné, le pacte n’a jamais été signé. Je n’ai vu là que fake et machinerie. Grosse machinerie. L’objet à la mode est bien là malgré les dénégations, autofiction avec présence assumée de l’auteur dans son œuvre (on est en 2025 bon sang). On interpelle le lecteur, on joue sur la chronologie, on insère des références à sa propre vie, on joue avec la figure du père. Et puis au-delà de la littérature on montre qu’on est conscient des grands enjeux du temps, des dégâts de la société patriarcale. « Ce temps où la profondeur des idées blessantes pour les femmes plonge ses racines n’est pas si loin, ces gens qui disent ces mots-là nous ont tenus dans leurs bras, peut-être, alors que nous étions bébés et qu’eux étaient des vieillards. » Et on rajoute une couche au millefeuille marketing : on aime Zola ? On fait du meta : l’un des personnages offrira la série complète des Rougon-Macquart. On est un auteur à la hauteur ? Quelle coïncidence, nous voilà dans la famille Proust. Pour de vrai.  Alors on va faire des phrases longues, très longues. Et puis on va faire se jouer notre saga dans cette maison vide, l’expliquer au début et à la fin. La noix essentielle dans sa coque. Donnant au passage les plus vilaines dernières pages que j’ai pu lire depuis longtemps.

 

La trilogie des torches-Livres 1 : Songlight. 2024. La Martinière Jeunesse,480 p. 21€.

Très bonnes critiques pour ce premier roman d’une scénariste reconnue. L’édition française est sortie, sans se donner la peine de traduire le titre, Songlight. Ça vous aurait fait mal à la tête de titrer « lumière du chant » ? Même les trois lignes au-dessous trahissent le livre…et 100 pages de plus ? Ça gonfle, ça gonfle. Bref je vous parlerai de l’édition anglaise : c’est mignon. Plein de bonnes intentions, une dystopie pour ados que la couverture anglaise illustre parfaitement. Couleurs froides/chaudes. La terre/la mer, un personnage brillant entouré d’oiseaux tout aussi brillants. Pitch : des millénaires après La Chute (la nôtre) l’humanité semble réduite à deux groupes en guerre. L’un plaçant ses torches (empathes et télépathes) dans des camps pour les réduire à l’état de légumes assignés aux travaux dangereux, ou de semi-légumes utilisés pour rafler les « inhumains » restants. L’autre les écoute et cherche à bâtir une société de liberté. C’est mignon. Il y a de la violence, mais elle N’EST PAS BIEN, comme on dit (disait) aux tout petits. La sexualité est évacuée, non consommée, réprimée, sociale. Absente du texte mais sous-tendant tout le récit. Étiquette littérature jeunesse oblige. Du racisme ? Étrangement ces personnages du futur sont déracisés, un peu comme une BD des années 80. Tout à l’air…comment dire ? Tout petit. Les décors, les enjeux, les descriptions. Le style. C’est light, c’est très light. Après le Reader’s Digest de funeste mémoire voici peut-être le temps du Reader’s expand. Tout est déjà vu : le recrutement, les avions primitifs, le ban des énergies pétrolières, l’aspect presque (presque) religieux, et cela prend des pages et des pages. Mais pour chacun de ces points Buffini reste lisse, en surface. Que ce soient les descriptions du village ou des rues de la capitale, des femmes ordinaires, des soldats. Le village est à l’écart, la capitale est très peuplée. Certains personnages ont des tabliers, les autres des armes. Ou de longs manteaux. Tout le monde saura qui doit triompher, pas difficile. Le message est clair. Peut-être même que certains vont le trouver woke. Je l’ai trouvé mignon. Trop Mignon. Trop transparent. Sans substance.

 

Les Carnets Noirs, Stephen King. 2017. Ldp imaginaire, 570 p. 9,90 €

J’avais abandonné King il y a longtemps. Peut-être pas le meilleur retour possible Les Carnets Noirs est le volume central d’une trilogie. On y retrouve les thèmes habituel Le rapport entre lecteur et auteur, ou lecteur et œuvre. La lecture comme outil de changement de soi. La petite ville, la prison, le lycée. Le contexte social, les affres de l’adolescence, le vieillissement. King sait écrire, c’est indéniable : il alterne d’une façon fluide et presque imperceptiblement des pages de styles très différents. Cliniques ou bucoliques, descriptions ou dialogues, hommages aux hard-boiled romans, scènes squelettiques comme un scénario…son livre est presque une démonstration du « comment écrire un thriller ». L’intrigue est solide, un peu comme dans « tiens, j’ai l’idée d’une nouvelle”. Rembourrée ensuite par la nécessité de lier ce volume au précédent. Le père du héros est une des victimes de l’übervilain du premier tome. Et les trois détectives amateurs ou presque en viennent aussi. Rajoutons le besoin de donner envie d’acheter le suivant. L’übervilain légume va revenir d’entre les catatoniques et le final nous amènera la touche de fantastique oubliée ici. C’est bien, ça fonctionne. De quoi l’éloigner des bibliothèques de certaines écoles ou municipalités ? Sans doute : on y parle graphiquement de viols en prison, un des personnages est noir et passe du Black English à une lange « standard » en deux lignes, King y fait l’apologie des bibliothèques et des cursus littéraires. Il y a même de l’asperger au menu…hummm ça sent le woke pour certains. Mais pas de quoi me donner envie de lire une vingtaine de King de plus. Ou quarante.

 

Alain Faurieux



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A propos du rédacteur

Alain Faurieux

 

Alain Faurieux, fanatique de S.F. et adepte du polar. Maniaque de musique (genre « insupportable » pour ceux qui le fréquentent encore), anciennement enseignant d’anglais.