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Griffes 23 (par Alain Faurieux)

Ecrit par Alain Faurieux le 30.09.25 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Griffes 23 (par Alain Faurieux)

 

Greta et Marguerite, Kalindi Ramphul. 2025, Lattes, 360 p. 20,90 €

Conseillé par Biba, je n’ai pas pu résister. Une autrice photogénique influenceuse. Une couverture qui sentait l’été. Et voilà (en Français dans le texte). « Toutes les histoires ne sont pas des histoires d’amour » affichait le bandeau. Dommage, comme d’habitude il a menti sur le contenu. Même si ############# (Pas de spoiler !). Un roman plein de vie et de surprises qu’ils disaient. Alors il y a trois narratrices à la première personne. Dont une qui s’exprime à 15 ans d’écart. Et ces narratrices sont, tu vois, super-opposées, comme dans noire (ou presque) et blanche. Et stricte et fofolle. Et pas du même âge. Mais tout bien construit, avec des personnalités bien définies, un peu comme dans World of Warcraft. L’histoire ? Un peu le genre saga familiale, mais avec beaucoup moins de personnages que dans les vieux livres un peu poussiéreux. On a donc une hôtesse de l’air, un mari ophtalmo, qui a une femme et une fille. Une rencontre bien sûr, et puis l’inconstant rencontre son destin un jour de tempête et les laisse seules.

Une découverte va conduire les trois femmes dans un pays lointain où elles ne trouveront pas ce qu’elles cherchaient. Mais bien autre chose. Dont l’auteur nous dit que cela se passe lors d’une « terrible nuit ». Disons-le tout de suite (et j’ai relu le chapitre), je n’ai pas vu en quoi elle était plus terrible que la précédente. Qui n'était pas terrible à dire vrai. Et puis longtemps après la petite fille devenue grande nous révélera tout. L’histoire expédiée, reste le style. Il y a des couleurs, beaucoup d’adjectifs, beaucoup de virgules, des listes pour faire désordre. Et puis du mouvement. Ça évite de penser. Et puis des anecdotes (Influence de l’influenceuse ?) et des récits dans le récit (c’est presque du méta). Et puis des jeux de mots, et des clins d’œil au (x) lecteur(s). Le tout restant entre quelconque et gentillet :

« Le soir, après un tour chez Intermarché, j’ai cuisiné ma spécialité dans la pure tradition carioca : une feijoada bien mijotée. J’ai recouvert le tout de coriandre du jardin, tandis que Romuald débouchait une bouteille de piquette de la cave de mes parents. Nous avons dîné sous le tilleul, épuisés par les événements récents, sans pour autant cesser de discuter ou de glousser pour rien. La nuit tombant, Romuald a pris un livre au hasard dans ma bibliothèque. »

Un volume que personne ne pourra accuser de prôner la violence, où le sexe reste du type jardinière (pas de spoiler !), ou la race, l’homosexualité, Alzheimer ou l’infidélité sont évoqués d’une façon qui ne choquera aucun anti-woke ; tout en étant dans un certain air du temps. Bref, si vous aimez Boris Vian (qui m’insupporte), vous pouvez sans doute trouver un certain charme à ces pages aussi légères que convenues.

 

La Collision, Paul Gasnier. 2025, Gallimard, 176 p. 19€

Présent sur la première liste Goncourt 2025. Un minuscule petit livre. Un petit quelque chose, ni roman ni essai, un article gonflé comme un flamant rose sur une piscine de rentrée littéraire. Après l’auto-fiction une sorte d’auto-journalisme bourré de bons sentiments, d’excuses à tous vents, de morceaux de quotidien sans intérêt, de souvenirs partagés même si personne n’en veut. Une ligne m’a marqué, citation attribuée à l’avocat du responsable de la collision qui coûta la vie à la mère de notre auteur.

« Tout le monde écrit quelque chose de nos jours, c’est un peu pénible… »

Ironie ou lucidité ? Parce qu’il faut l’avouer : ce volume n’a pas sa place (ou l’a-t-il trop ?) sur cette liste. C’est gentillet, consensuel, l’extrême droite est piquée par habitude, les clichés distribués comme une main gagnante à Monaco, la justice, les juges, la police, les familles, tout baigne dans une lumière douce. Ou ordinaire. Le ton est sérieux, mais pas trop pesant. Paul Gasnier a quelque chose à dire, il lui faut écrire. Il n’avait rien à dire ? Tant pis. Le résultat est anodin, ces quelques pages ne sont pas littérature, à peine, à grand-peine écriture. Un homme qui, dix ans après la mort de sa mère, tuée par un minable jeune arabe sur une moto-cross empruntée et pas en règle, dans une petite rue de Lyon, essaye de trouver du sens à cette collision à travers l’écriture d’un livre. Un livre sans force et sans pudeur à la fois. Sans force, car seule l’écriture pourrait sauver le lecteur d’un ennui dont il se sent parallèlement - et paradoxalement - coupable, car, bon sang il s’agit de la mort de sa mère quand même ! Sans pudeur, car seule l’écriture dépasse l’anecdote, le personnel, pour nous ouvrir, nous révéler autre chose. Nous n’apprenons rien ici sur l’auteur, ou la génération de sa mère, ou la famille, ou ces gamins de la Croix Rousse. Ou sur l’Humain. Goncourt ou Paris-Match ?

Kolkhoze, Emmanuel Carrère,2025. P.O.L. 560 p. 24€

Emmanuel Carrère sait écrire, il a une solide culture, a bourlingué, a même de la gueule sur les photos qui nous le montrent ici ou là, fringant puis un peu usé. Son livre en est, et c’est normal direz-vous, le reflet. Sympathique, on voyage aussi bien géographiquement que chronologiquement. Des anecdotes à foison, des piques à certains personnages publics, des lauriers pour d’autres. De l’ironie et de l’humour. Des règlements de compte et un regard en arrière sur une vie. Des infos et des surprises. De grands auteurs et des salauds. Des fascistes couleur locale et des ancêtres hauts en couleur. Malheureusement j’en ai un peu marre des volumes du même genre. La recherche sur l’histoire de la famille, bon côtés et recoins obscurs.  La mort du/des parents qui pousse à… qui pousse à quoi ? Parce qu’en fait, la dernière ligne lue, la dernière page tournée, que m’a apporté ce livre ? un moment sympathique ; équivalent littéraire de la bienveillance. Un livre sans intérêt, auto-fiction et journalisme vulgarisateur s’y rencontrent comme deux vieux messieurs sur un quai de gare. C’est poli, sociable, on est entre soi. C’est convenu, tiédasse. On partage les mêmes valeurs. Peu importe ce que cela recouvre. Une première partie en sous-bois généalogique, suivie de voyages en Russie ou Géorgie permettant de se déclarer contemporain tout en illustrant les relations mère-fils. Et une fin un peu fourre-tout. La mort de la mère, quelques anecdotes supplémentaires, comme lorsque l’on range les vieux meubles après un décès.

Et voilà. Ai-je pensé à dire que, parmi les livres de la rentrée, il s’agit là du 235ème opus sur la mère de l’auteur ? Ai-je pensé à dire que le livre débute par l’éloge funèbre prononcé par le Président Macron à l’occasion (quelle terrible expression) des obsèques de ladite mère ?  Il y a longtemps que je n’ai pas lu Point de Vue Images du Monde, peut-être ressemble-t-il à ça aujourd'hui. Si cette gentille bluette est un des favoris du Goncourt je n’ose imaginer les autres.

 

Alain Faurieux



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A propos du rédacteur

Alain Faurieux

 

Alain Faurieux, fanatique de S.F. et adepte du polar. Maniaque de musique (genre « insupportable » pour ceux qui le fréquentent encore), anciennement enseignant d’anglais.