Griffes 22 (par Alain Faurieux)

Mon Vrai Nom est Elizabeth. Adèle Yon. Editions du Sous-sol ,400 p. 22€
Un livre intéressant. Intéressant est le mot que l’on réserve à celle ou celui que l’on ne veut pas fâcher. Parce que, quand même, il y a là beaucoup d’efforts, de travail, de soi-même. Mais il faut reconnaître que le produit fini est un peu…gentil ? à perfectionner ? bancal ? Pourtant on trouve dans ces pages du roman familial, de l’autofiction, une charge contre l’invisibilisation des femmes, et puis aussi un survol de la psychiatrie pour les nuls (la fameuse collection). Et puis des pages qui sentent le travail universitaire. Et puis des mails, des pages super-personnelles (avec le tiret), des dialogues/ interrogations particulièrement loupés. Et puis des résumés de grands classiques, des résumés de grands films, et une kinésiologue. Tout ça aurait pu faire un livre, mais la construction est insatisfaisante, pataude. Le style varie d’un type de texte à l’autre mais ne convainc jamais.
Certains éléments apparaissent (l’Homme/partenaire source de traumas) puis disparaissent sans avoir été vraiment exploités. Un auteur aurait rassemblé tous ces morceaux, ou les aurait opposés, ou en aurait fait un admirable feu de joie. Ou un bûcher funèbre. Yon ne fait que nous les livrer, dans une sorte d’insouciance, de fainéantise. Un livre de Normalienne cheffe de cuisine auteure et enseignante et plus si affinité. Le livre du moment, le livre d’un petit moment. Désolé, pour moi un livre doit être quelque chose que l’on a peaufiné, ou craché, ou battu à chaud, ou donné à manger froid. Mais pas un à-peu-près, un très propret sur lui qui ravira les lecteurs du Monde, Libé et Le Figaro à la fois.
Ma vie sans moustache, Romain Puertolas. 2025. Albin Michel, 304 p. 19,90€.
Cela ne commençait pas trop mal. Un peu HHH rencontre San Antonio, ou encore Mon vrai nom est Elizabeth sans le pensum, ou encore (insérer là un titre parmi les dizaines de production du type enquête dans le passé de la famille/la ville/notre couple…) sans prise de tête : la quête auto-fiction en mode humoristique
Cela ne commençait pas trop mal, de l’humour donc, de l’ironie, des clins d’œil, un rythme et un lexique légers. Très légers. Un style sans prétention. Et puis on se lasse. Puertolas nous rappelle 2453 fois qu’il a écrit des livres, qui ont bien marché, qu’il a travaillé dans la police (expert en faux), dans l’aviation, qu’il a été cosmonaute. Ah non, ça c’est Pesquet dans Ma vie en apesanteur. La légèreté devient pesante, les mêmes ressorts sont exploités et ré exploités. L’alternance entre faits réels, plausibles, gros clins d’œil et invention totale devient mécanique. La chute finale, à mettre en miroir avec les premières pages, ne m’a même pas fait sourire. Bref résumé pour vous éviter l’achat (ça se passe sur plusieurs années) : contacté par une témoin de la survie d’Adolf (celui à la moustache) en Argentine, notre auteur finit par aller à sa rencontre. Elle a 126 ans. Suivent des péripéties touristico-journalistiques, des quiproquos, un nazi tour, des confessions, des journaux intimes. Puis saut dans le temps et vers Israël, apparition d’espions (chez eux ou à un salon du livre). Réapparition d’Adolf. Mort du dit Adolf. Puis sacrée surprise. Puis autre surprise. Pas de spoiler. C’est la fin.
Plutôt que tendre vers la poupée russe, le labyrinthe, ou simplement les briques pour bébé, la construction de Puertolas est une dégringolade. Dommage pour nous.
Valentina t1. Azra Reed. 2024. Ed.Hugo, 360 p. 19,90 €
J’ai lu il y a quelque temps le 1er tome de Lakestone de Sarah Rivens, et renoncé à lire le second. Mais je viens de terminer le 1er tome de Valentina par Azra Reed, autre phénomène Tik Tok, celle qui a « réinventé la Dark Romance » nous disent les réseaux.
Nous sommes à Mexico. Valentina est une jeune fille intelligente qui veut finir ses études d’architecture aux USA. Par un malheureux concours de circonstances elle se retrouve à être responsable du vol de deux millions de dollars de cocaïne. De là enlèvement par un cartel, re-enlèvement par un autre, fusillades, baffes, regards méchants. Embrouilles autour de la coke. Bon, celui qui au début de l’histoire était un caïd rétrécit de plus en plus dans l’organigramme des vrais boss. Certains, ainsi que la police (mais est-ce vraiment la police ?), ignorant même son nom. Sa sœur de cœur morte (sans doute), sa mamie morte (peut-être), Valentina n’a pas la frite et se fait (encore) enlever à la fin du premier tome.
Tout d’abord le plus facile à repérer : la plus grande partie des particularités du Sarah Rivens se retrouve ici. Comme par magie. Mexico est absente du livre, réduite à la mention de deux, trois rues et un quartier au nom qui fait penser à un biscuit. Tepito. Deux, trois maisons, un hôtel et un club. Tout comme chez Rivens le club se distingue par un étage où se retrouvent les plus VIP des méchants. On a aussi une autoroute et une forêt. (Là on se perd un peu sur comment aller de là à là, et retour. La topologie c’est difficile) Côté décor on fait dans le minimalisme. Le vraiment cheap. Le GIFI du roman. La description c’est fini. Un truc de vieux. À la rigueur on peut mentionner une table, pour se cacher dessous (si !), ou un lit, pour dormir. En fait ça pourrait se passer n’importe où. Ça n’existe pas. Les personnages non plus. Un beau gosse (description minimale) dont le nom m’évoquait à chaque fois Eddy de Pretto (Preto), des faire-valoir interchangeables et une héroïne qui se résume à ses yeux verts (et un peu de niaiserie). Elle a 19 ans :
« Sans hésiter, je me lève, prends le combiné et compose rapidement le numéro de la maison. Heureusement qu’Abuelita m’a forcée à l’apprendre par cœur quand j’étais petite !”
Un exemple de jeune femme forte, non ?
Il faut remarquer que ce premier volume est précédé (c’est de la Dark Romance) d’un avertissement, il contient violence, drogues et plus. Un peu comme chez la Comtesse de Ségur, en moins pervers quand même, et sans morale. Voici la phrase la plus terrible que j’ai pu trouver (je sais, elle est surtout terrible en termes d’écriture) :
« L’ambition d’Abel vient de m’e…er bien profond, »
Particularités ? Les chapitres alternent les narrateurs, principalement LUI :
« Je range mon arme dans la ceinture de mon pantalon puis, avisant ses jambes ankylosées, je me penche vers elle et glisse mes bras sous ses genoux. ».
Et ELLE :
« Quand il retire sa main, j’ai toujours la sensation de le sentir sur ma peau. Pourtant, son dos retrouve le dossier de la chaise.
Les images sont pitoyables, le lexique primaire. Oh, et autre particularité : une cinquantaine (sur 360) pages sont occupées par un dessin de méchant scorpion. Là où je m’interrogeais si Lakestone était un vrai livre, je m’interroge si « Azra Reed » est un être humain ou un programme destiné à produire des pages-à -lire. Une sorte de livre idéal qui aurait mal tourné, une façade plaquée sur les ruines.
Pour finir il nous faut reconnaître que c‘est beau le présent de narration, mais pas chez Azra : Hurlé-je / répliqué-Je / soufflé-je / argué-je /répété-je / attaqué-je / reprends-je / Rétorqué-je / affirmé-je / imploré-je / tenté-je / m’écrié-je / salué-je / finis-je…sont quelques-uns des moments qui m‘ont attaqué l'émail des dents.
Alain Faurieux
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