Griffes 20 (par Alain Faurieux)

Le livre du large et du long, Laura Vazquez. 2023. Ed du sous-sol. 416 p. 24 €
Prix Goncourt de la poésie 2023 ! J’ai laissé libre cours à mes perversions et ouvert le Livre du Long et du Large. Beaucoup d’éléments positifs. La taille : une épaisseur bienvenue dans le monde de la poésie. L’ampleur : une sorte d’épopée moderne où la narratrice est sa propre quête. L’humour, souvent présent, et pas du tout de façon involontaire. On pense à Villon, Rabelais, L’Énéide, l’Apocalypse et bien sûr Lautréamont.
« Mes gros, mes grosses, mes sœurs et compagnie, les veines jugulaires de notre cou ont une forme égale à beaucoup d’autres dans le monde. Nos pauvres veines n’ont pas plus d’importance qu’une pâte quelconque sur la balance générale. C’est un exemple, vous le verrez. »
Comme le vieil Homère, Vazquez apostrophe le lecteur, mythologise et en fait trop. Bref, elle vise haut. Pourtant cela n’a pas fonctionné pour moi. Oui, j’ai bien aimé certaines phrases, voire même certains groupes de phrases. Il serait facile de voir le problème dans les tournures d’jeuns (des éléments de langage vieux de plusieurs décennies). Elles ancrent au contraire le récit, car c’est un récit, dans une oralité puissante. Mes gros, mes grosses, sa mère… Ce qui m’a déçu c’est un ensemble de maniérismes, manœuvres et à peu près. Enlever le E final de certains mots rapproche en quelque sorte les vers de ceux de Villon, comme par une incomplétude temporelle. Mais d’autres effacements semblent superflus, contraints. La mise en page (certaines ne contiennent que quelques mots) également. Le jeu sur les temps, présent et passés imbriqués est quelquefois porteuse de sens, quelquefois interroge le lecteur sur le sens. Et semble trop souvent dénué de sens. J’ai trop souvent eu l’impression de voir s’exprimer une volonté de « faire œuvre », sans la volonté (plus que la capacité) de faire mieux. Pour une ou deux images frappantes, combien de niaiseries dans l’air du temps ? Pour une page qui frappe et ronge, combien d’à peu près ? Pour une démarche qui semble honnête et personnelle, combien de ridicule ?
« Je demande à n’importe quoi !
Je demande à un clou de m’aider
est-ce que le mur voudrait que je traverse
les murs veulent vivre
mais ils veulent mourir
qu’on les détruise car ils ne veulent rien car ils
n’ont pas la vie jaillit s’entasse flambe »
La semaine perpétuelle, Laura Vazquez. 2022, Points,336 p. 9,90€
J’avais aimé certains passages du Livre du Long et du Large de Laura Vazquez. J’ai donc tenté son premier roman. Qui arrive, le bandeau de couv’ l‘atteste, à être ” Prix Wepler-Fondation La Poste-Mention Spéciale du Jury”...2021. Comment le dire vite ? Un cocktail de Boris Vian et Saint-Ex à l’âge d’internet. (Les deux m’insupportent). Un des meilleurs passages :
“La grand-mère faisait de la merde avec le coin de sa bouche, avec son nez, elle en faisait jusqu’à la nuque et jusqu’aux jambes. Tout transpirait. On peut fabriquer de la merde avec chaque partie de notre corps. Quand on laisse des yeux quelque part dans la nature, ils se transforment en merde, c’est la seule direction, comme les fruits, comme les viandes. Si on abandonne une banane, elle se transforme en pourriture. Elle était lourde. Quand on l’a couchée, le premier jour, son corps s’est multiplié par 2, elle a porté 4 bras, 4 jambes, 2 têtes. Le lendemain son corps s’est multiplié par 4, elle a porté 8 bras, 8 jambes, et 4 têtes. Le jour d’après son corps s’est multiplié par 6, et par 8, par 12. Et chaque jour son corps se multiplie. Aujourd’hui la grand-mère porte 21 170 bras, 21 170 jambes, 10 585 têtes. “
Et je crois que c’est réellement un des meilleurs passages.
Cinq Coeurs en sursis, Laure Manel. 2024, Michel Lafon. 480 p. 20,95€.
Poursuivant mes lectures des plus grosses ventes j’ai lu Laure Manel à l’occasion de la sortie en poche de ce livre. Prix Babelio 2024. Points positifs : c’est vite lu et il n’y a pas de violence, de sexe ou de vilaines choses comme ça. Bien qu’un meurtre au couteau en soit le centre. Points négatifs : rien. Parce qu’en fait il n’y a rien à en dire. Du non-style, pas même larmoyant, démago ou niais. Juste une histoire qui pourrait paraître en feuilleton dans un magazine de Français langue étrangère. On pourrait chercher la petite bête, dire que ces cinq cœurs en sont six. Que le noyau central de la narration (roman choral et tout et tout) commence par un journal de pré-ado et que toutes les voix sont un peu un peu semblables. Mais est-ce bien nécessaire ? Le pitch ? Une femme mariée /maman tue la femme de son ex-amant. Gros coup dans le foie pour toute la famille (mari, deux enfants, une belle-mère et une sœur). Nous suivrons donc leurs monologues sur une vingtaine d’années. Oh ! Pardon, ne lisez pas ce qui précède si vous ne vouliez pas de spoiler.
Plus de 1000000 ventes. Pas la peine d’y ajouter votre obole.
Israël depuis Beaufort, Richard Millet. Les Provinciales, 2015.120 p. 12€
Points forts : peu de pages, pas cher, moins mauvais que les quelques petits « essais » de Millet que j’ai pu lire (appelons-les ainsi). À part ça ? Millet doit être le Dieudonné de la littérature : d’une création de qualité à un délire de persécution enrobé d’une pâte indigeste. Moins mauvais que certains de ses petits opuscules, Jérusalem & Co. utilise des phrases longues et maîtrisées. C’est bien là une des seules particularités stylistiques de l’auteur de La Gloire des Pythre ou Lauve le Pur que l’on puisse retrouver. Toute pensée est remplacée par un entassement de mots, destinés sans doute à étourdir le chaland et déguiser un vide effrayant. Bien sûr notre Richard est ici le centre de tout, le Je étant le plus souvent remplacé par un Nous impitoyable : être catholique c’est être catholique comme le comprend, le conçoit Millet. Sous un nuage (une enclume ?) de supériorité intellectuelle, culturelle, personnelle, génétique (raciale le ferait grincer des dents), etc. etc. S’ajoutent à cela les tics habituels de l’homme : la Guerre comme révélation, le complot des invertis, le complot contre le dernier des grand auteurs, l’impossibilité d’être édité (euh, vraiment ?). Dans un mécanisme rappelant Onfray, les opinions (plutôt qu’idées) de l’auteur nous sont présentées comme un ensemble de faits indiscutables, briques d’un même mur, ce qui évite toute réflexion. Malheureusement la langue utilisée est un ensemble de formules, clichés et propositions préfabriquées dont la multiplication n’arrive pas à dissimuler le manque de sens.
« …la guerre des Six Jours, entre le 5 et le 10 juin 1967 : événement considérable, et à propos de quoi la mort d’Ernesto Guevara, en Bolivie, quatre mois plus tard, offrirait aux Palestiniens une manière de théophanie victimaire, marxisme contre sionisme, tandis que l’Occident adorerait ce veau d’or dont le culte dure encore, au sein d’un Walhalla où figurent Martin Luther King, Nelson Mandela, Lady D., Michael Jackson et le collectif rassemblé sous le nom de Charlie Hebdo, tandis que de tout autres barbus ont remplacé ceux de La Havane dans l’internationale de la violence politique. »
Millet se glorifie (tout en dénonçant le mécanisme universel de victimisation) d’être (d’avoir été est moins faux) traité de facho. Non, juste un mec aigri et méprisant qui a écrit de bons livres puis a chuté sans le charme d’un vers de Milton.
Alain Faurieux
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