Griffes 19 (par Alain Faurieux)

Lakestone, Sarah Rivens, 2024, Hlab Editions, 800 pages, 20 €
Un livre incroyable ! Vraiment incroyable. Écrit par « l’auteure Algérienne la plus lue de l’Histoire » ! 9.000.000 de lecteurs ! Créatrice de la trilogie Captive qui a captivé tous les réseaux (pas lue). Il a l’aspect d’un livre, épais, belle couverture, avec des pages pleines de texte. Dommage qu’il soit incroyablement vide. 800 pages de vide. Je n’ose plus appeler ça un livre. Tout comme son auteure (avec un tel pseudo beaucoup de ses lecteur/es la pensent anglaise, ou américaine), la chose n’a aucune identité. Quelques noms baladés ici où là dans le texte (New York, Seattle) nous disent que l’action est censée se passer aux États-Unis mais le décor planté par notre Sarah ressemble aux accessoires cheap d’un téléfilm M6. On nous parle de ministre et de journal de vingt heures. L’héroïne est étudiante ! une fac ça s’écrit fac, et ça suffit. Pas la peine de parler de rues, bâtiments, campus, ou étudiants.
Les 800 pages vont se passer dans un cadre toujours identique : LA boîte s’appelle The Box, presque le Spoon (Inside joke), elle a un bar, une salle, un étage… et des toilettes avec couloir. Le lieu où elle sera prisonnière (une maison ?) a des toilettes, une pièce (cuisine) et deux chambres. Les autres lieux ont des murs et des pièces… et il y a dehors des arbres et de la neige. C’est Noël ! Les méchants ont la chance d’être dans une organisation qui s’appelle… l’Organisation ! L’amoureux de notre personnage central est total dysfonctionnel, il tue des gens (il tend le bras, le pistolet fait boum et l’autre meurt, ou il utilise un couteau, il tend le bras très vite…). En 800 pages la jeune et fragile Iris (elle a les yeux vairons, c’est son équivalence en étrangeté avec le tueur psychopathe) va tomber amoureuse du beau tatoué qui l’a kidnappée pour une raison absolument improbable. Tous les deux partagent une attirance pour le Mac’n cheese. En quelques mois ils vont finir par partager une poignée de fraises en se suçant le doigt réciproquement. Ça c’est très chaud ! Malheureusement le livre finit avant une conclusion immorale. Mais il y a un passage avec une (ou plusieurs ?) cuisses en contact. Je crois n’avoir jamais lu un livre révélant un tel manque d’intelligence de son auteur. Qui a révélé en interview avoir arrêté de lire « il y a quelques années ». Elle a 26 ans. Les personnages sont aussi vides que le décor. Un mot suffit pour les définir : l’un est « policier », rien sur où, grade, collègues, vie professionnelle ou familiale. L’autre est homo, un autre est chef de méchants… Les interactions (incluant les interactions dysfonctionnelles) font penser à Ken et Barbie déplacés par une main enfantine. Ce livre est extraordinaire ! Un univers entier (non, cela ne peut pas être le nôtre…) fonctionnant suivant les règles de la gentille fille bien-brave-mais pas très brillante du palier d’en dessous. Et il va y avoir un deuxième tome. Logique avec un final qui voit le héros…
Si je serais grande, Angelina Delcroix, Hugo Poche, 2024, 528 pages, 8,90 €
Lu à l’occasion de la sortie en poche de ce volume de 2018, grosse vente présentée comme le futur du thriller Français. Deuxième tome d’une tétralogie aux personnages récurrents. Qu’en dire ? Ce livre est remarquable, remarquablement mauvais. Passons sur les détails : le manque de glamour de la gendarmerie, les incohérences procédurales, le flou de la construction temporelle, les improbabilités psychologiques et physiques. Reste malgré tout le mauvais goût laissé par un traitement du thème central (quel est-il vraiment, en fait ?) qui ressemble plus à de la pâtée complotiste qu’à une utilisation intelligente d’évènements réels. Pour faire court : pédophilie et sectes sataniques (l’une nourrissant l’autre) gangrènent toute notre société et les vilains riches et puissants (« l’élite… hauts placés intouchables (sic). Des médecins, des profs, des scientifiques, et même des magistrats, des journalistes, des ministres, et j’en passe, jouissent du Mal qui les maintient au sommet. S’ajoutent à cela (entasser n’est pas pêcher) des fantasmes de programmation infantile afin de perpétuer ces castes dirigeantes. Violence, viols, sacrifices humains et chevalins vont lancer nos gendarmes sur le sentier de la guerre. Est-ce suffisant pour être si mauvais, sans aucun doute non, ceci ressemble un peu à une intrigue de Koontz retouchée Frenchy. Ce qui fait la différence c’est l’écriture. Pas l’écriture impersonnelle ou quelconque du produit grand public, ou l’écriture démago des têtes de gondole. Une écriture exsangue, pitoyable ; images, personnalisations, métaphores submergent les phrases et toutes sont absolument insupportables, de guingois, bancales, tordues non par perversité mais par incompétence.
« Ben activa son attention maximale en perçant la nuit de toute part, tel un hibou perché sur sa branche. L’impatience lui piétinait l’intérieur », ou encore « Son esprit s’emmêla les pinceaux dans les câblages. Ses yeux envoyèrent les images suivantes à son cerveau, mais la projection fut stérile ».
Les possessifs (surtout vers la fin) sont mal employés, le lexique est (une gageure) à la fois simple ET inexact. Les mots se heurtent dans une langue d’une pauvreté que j’ai rarement rencontrée. La lecture en devient difficile, je m’interroge, que voulait dire notre auteure ? Pourquoi ce choix de mots, y a-t-il eu une relecture à un moment donné ? Sans doute pas, il aurait fallu tout reprendre.
Fuyez le futur du thriller français !
Ta Promesse, Camille Laurens, Gallimard, janvier 2025, 368 pages, 22,50 €
J’ai enfin fini Ta Promesse. Mais j’avoue avoir souffert. J’ai dû alterner avec trois autres romans avant d’y parvenir. C’est pourtant un livre bien écrit, un produit solide. Une œuvre courte, sans graisse inutile, compacte et complexe à la fois. Alors pourquoi cet ennui pesant ? Cette irritation cutanée, cette gêne répétée ? Est-ce vraiment parce que je suis un boomer blanc ? Dois-je me flageller avant lecture pour être digne d’apprécier cette nouvelle cuisine ? Parce que c’est là que le bât me blesse : on ne sent pas dans ces pages le besoin (ne parlons pas de joie ou d’impulsion) d’écrire « sur », mais plutôt le carcan du devoir. Lié à une idéologie, un calcul marketing, un suivisme de bon ton ? Des critiques très favorables m’avaient poussé à surmonter une couverture pourtant révélatrice. Je n’ai pas détesté L’Emprise, j’ai beaucoup aimé Triste Tigre, un roman sur l’emprise amoureuse n’était donc pas un repoussoir. Quelle erreur ! La chose est très professionnelle. On sent le travail, l’effort, le soin apporté. La compétence alliée à l’expérience. Comme dans plusieurs romans récents j’ai retrouvé un certain parfum nouveau roman, les questions/réponses plates et froides, le refus d’empathie, les interventions de personnages/témoins secondaires. La mécanique est, elle, beaucoup plus contemporaine. De l’autofiction déguisée en roman, ou peut-être un roman jouant sur l’autofiction, ou de la post-autofiction. La construction est donc centrale, viserait-elle à camoufler ce qui est essentiellement un vide ? L’œuvre est, non pas une narration (plus ou moins) chronologique, mais une sorte de nœud thriller/bromance et entre-soi de salons littéraires. Les premières pages ont pour fonction de nous faire nous interroger sur le pourquoi de tout ce qui va suivre – et qui a déjà eu lieu. Un déclencheur du récit qui n’est qu’une conséquence. Viennent ensuite les faits, rapportés en un espace qui se précisera peu à peu, par une suite d’échanges avec un personnage qui se précisera également, avec des interventions – très courtes ou plus développées – d’amies et amis, des demandes de précisions. La raison de ces échanges (loin d’en être l’explication) viendra plus tard, anticlimax obligé. La dernière partie, que nous pourrons appeler résolution pour ne pas être trop méchants, abandonne les mécanismes du thriller pour les clichés éculés du mauvais roman de gare. Ce qui ne peut qu’être de l’Auto-distanciation ironique. Ou pas. Le style est intéressant, entre revue médicale et éditorial de magazine, balade bien élevée dans un monde où le Name-Dropping est un réflexe et le nombrilisme un obstacle à toute identification par le lecteur. Quelquefois Laurens se laisse aller : une page écrite par la narratrice-en-convalescence, et présentée par un ami comme la preuve de son retour possible vers la Littérature est absolument ridicule. L’ironie m’aurait-elle échappé ? Sans doute pas car le même faux-pas se retrouve peu avant la fin, le réemploi de la même parabole scientifico-politique (appelons ainsi le brouet), ne pouvant être une erreur. Une fois la dernière page tournée, je me suis demandé sur quoi avait écrit Camille Laurens et j’ai dû m’avouer n’en rien savoir. En aucun moment je n’ai cru en ses personnages, pantins vides et artificiels. Est-ce l’emprise qu’elle nous décortique, ou bien l’amour, ou le besoin de croire en celui-ci. Après un tel pensum, je n’irai sans doute pas relire Butor, mais L’Amant de Duras, pourquoi pas…
Alain Faurieux
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