Faut que tu viennes, Pascal Thiriet
Faut que tu viennes, mai 2014, 264 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Pascal Thiriet Edition: Jigal
Pascal Thiriet est un récidiviste et dans le monde du polar, cela risque de lui coûter une longue peine d’années d’écriture. Après J’ai fait comme elle a dit publié en 2013, voici Faut que tu viennes, des titres qui résument parfaitement l’ambiance si particulière de l’univers romanesque de l’auteur. La « recette » Thiriet contient une liste d’ingrédients dosés avec le doigté et le savoir-faire d’un grand chef : une intrigue suffisamment nébuleuse pour ne servir que de toile de fond à la mise en scène de « héros » qui mériteraient plutôt le préfixe « anti » ; femmes « Alpha » exerçant sur leurs meutes un pouvoir quasiment absolu, mâles soumis qui tentent de laper les miettes de ce qu’elles veulent bien leur laisser d’autonomie au milieu d’une foule de personnages toqués, de pieds nickelés et de pourris (de préférence des nantis). Une forte dose d’humour vient rehausser le mélange dont le piquant est aussitôt équilibré par une grande louche de tendresse.
Montpellier, Sète, Aigues et un littoral protégé qui excite l’appétit vorace d’élus locaux, de banquiers, comme par hasard peu scrupuleux, et d’investisseurs venus du Missouri… et Dido et Enée. Bien sûr, tout cela sent l’arnaque d’autant que la belle Dido a une fâcheuse tendance à imaginer des combines plutôt compliquées et à occire des banquiers pour le plus grand bien de son portefeuille et de la société. Alors quand un grain de sable surgit, un ponte de la finance plongé dans le coma par sa faute à titre d’exemple, elle appelle Enée pour la sortir du pétrin et quand elle lui dit « Faut que tu viennes » Enée rapplique ; il ne laisse jamais son ex dans l’embarras pour un petit faux pas. S’ensuit l’éternel combat de David contre Goliath… on connaît l’histoire par cœur et pourtant l’auteur va nous la raconter d’une telle manière que l’on aura le sentiment de la découvrir pour la première fois.
Début d’un roman où Pascal Thiriet sous couvert de dénouer les fils de l’intrigue se livre à l’exercice de la comédie humaniste décalée. Raison pour laquelle en lisant Faut que tu viennes ce ne sont pas forcément des références littéraires qui effleurent immédiatement l’esprit mais plutôt quelques images de l’univers du cinéaste Jean-Pierre Jeunet de Delicatessen ou plus récemment de Micmacs à tire-larigotqui s’imposent. À une nuance près, et de taille… les personnages de Pascal Thiriet, du plus déjanté au plus « normal », difficile à trouver, mais en cherchant bien on finit par en découvrir, ont tous une histoire, un passé, une profondeur humaine, des forces et des failles, des désirs et des addictions, qui au-delà de leurs excès, de leurs contradictions ou incohérences, finissent par toucher le lecteur et les rendre étonnement crédibles et attachants. Et là où le cinéaste invente des semblants de personnages, des caricatures parfois, l’écrivain donne au fictif tout son poids de réel.
Le regard critique qu’il porte sur la société se lit aussi en filigrane au gré des saillies ironiques ou des vannes plus potaches qui ponctuent l’ensemble du récit. Quand le rire et la sensibilité sont au rendez-vous, inutile de bouder son plaisir… les occasions se font rares dans les rayonnages de nos librairies.
Ainsi cet extrait si caractéristique du style Thiriet, parmi tant d’autres :
« Enée ça l’intéressa tout d’un coup. Pas la vertu de la mère de Damien, ça, il s’en tressait les couettes. Non, ce qui l’avait fait tiquer c’est que l’adolescent avait conjugué correctement. Il avait dit lap dancerquand il fallait et lap dancing quand il fallait aussi.
– Tu parles anglais ? Bien ?
– ‘Videmment. C’est comme qui dirait ma langue maternelle.
Damien s’était remis à parler normalement. À crier quoi.
– Tu vois, t’es pas si bête alors !
Damien prit son air grave comme quand il expliquait des choses pas faciles :
– Ben si. Et deux fois plus, d’après Mamé. Une fois quand je pense une connerie et une autre fois quand je la traduis.
Enée admit que le raisonnement se tenait. Histoire de laisser le temps au tramway de freiner, il demanda :
– En somme, si tu apprends l’espagnol tu seras…
– Trois fois plus con, ouais.
Il cria. Il avait ça pour lui, Damien, il était content quand il donnait la bonne réponse » (p.45).
Un style, un ton, une liberté créatrice qui font toute l’originalité d’un auteur qui n’a pas fini de nous surprendre et de nous réjouir. À consommer sans modération, de préférence un Casanis à portée de main.
Catherine Dutigny/Elsa
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