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Entretien avec Samuel Gallet

Ecrit par Marie du Crest 12.12.13 dans La Une CED, Entretiens, Les Dossiers

Entretien avec Samuel Gallet

 

Entretien de Marie Du Crest avec Samuel Gallet, au bar du Théâtre de la Renaissance, à Oullins, le 7 novembre 2013

Le poète-rock

 

Le texte d’« Oswald de nuit » est présenté comme un poème-rock, qu’entendez-vous par là ?

 

Depuis six ou sept ans, je travaille sur l’idée d’un rapprochement de la poésie et du rock. Je suis depuis longtemps touché par des gens comme Patti Smith, les Doors ou Dylan, ou Noir Désir, qui ont travaillé sur cet échange fort entre poésie et rock. Le guitariste, Baptiste Tanné, et moi-même, nous poursuivons en quelque sorte cette tradition qui consiste à faire se rejoindre musique et poésie d’autant que dans le rock, il est question de vies à la dérive, d’existences brisées.

Comment la musique et la poésie entrent-elles en résonnance l’une par rapport à l’autre ? Avez-vous pensé à la musique au moment de l’écriture d’« Oswald » ?

 

Oui et non. Pour la première partie du triptyque, il s’agissait d’abord d’un texte, d’un poème dramatique. Ensuite, avec le guitariste B. Tanné, les choses ont glissé peu à peu du côté du poème rock. Mais d’une certaine façon, la musique était déjà là dans l’écriture qui était celle d’un chant, d’un dit.

 

Vous évoquez l’influence de musiciens des années 70-80 alors qu’ils ne sont pas « de votre génération » ?

 

Sans entrer dans des détails historiques, il est vrai que ce sont des influences importantes, mais B. Tanné a apporté d’autres éléments comme la musique électroacoustique, la musique concrète. Ce qui est essentiel aussi dans l’apport du rock, c’est sa parole frontale, criée. Le rock exprime une colère mais enfermée dans le carcan de la chanson. Ce que le sujet d’Oswald de nuit met en avant, c’est précisément cette tension-là, cette colère qui se cogne contre les murs…

 

Comment travaillez-vous en tant qu’auteur avec les musiciens ?

 

Tantôt j’apporte les textes, et les musiciens font des propositions à partir de ce matériau. Tantôt nous improvisons ensemble. Ce qui importe en vérité, c’est de faire se croiser la musique, les sons et le texte en vue de ce spectacle. Nous sortons du cadre : nous nous situons entre le concert et la représentation théâtrale. D’ailleurs, nous avons « joué » Oswald aussi bien dans des salles de concert, que des théâtres ou bien dans d’autres lieux comme au début, dans des bars, des squats. L’important reste la machine poétique. La musique constitue en fait une mise à distance.

 

Est-ce que justement la variété des lieux, des publics, a eu un impact sur la réception du spectacle ?

 

Pas tant que cela. Le spectacle était simplement perçu pour ce qu’il était.

 

Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est le fait que les auteurs de théâtre sont très largement et majoritairement des gens du théâtre, des comédiens, des metteurs en scène, des scénographes… et pas des auteurs-écrivains. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

 

C’est difficile à dire mais on constate une séparation des disciplines. L’édition générale par exemple éditait aussi auparavant des textes de théâtre. Aujourd’hui, ce sont des éditeurs spécialisés qui publient les pièces.

 

Qu’est-ce que cela signifie pour vous de dire votre propre texte ?

 

Ce n’est pas quelque chose de systématique chez moi. En ce moment, je travaille sur deux pièces comme écrivain seulement, d’autant que j’ai depuis le début varié les approches : poésie mise en musique, bouts de roman. Ce qui est au cœur de mes préoccupations, c’est l’oralité, « faire sonner ». Ainsi je peux très bien livrer à une équipe artistique, ayant son propre point de vue, mon texte.

 

Pour revenir à Oswald, qu’est-ce qui est le plus important chez ce personnage ?

 

Son impossibilité de vivre et ses tentatives pour ne pas sombrer.

 

Est-il romantique ?

 

Il y a une influence du romantisme mais un romantisme en crise, une autodérision sur son propre romantisme, et en même temps le sentiment au cœur du personnage – et de beaucoup d’autres que j’écris – que d’autres vies leur semblaient être dues mais il n’y a plus que celle-là étriquée, sans issue. Oswald n’a pas sa place comme beaucoup de jeunes gens de notre époque, dans cette société de guerre économique et en même temps de se retrouver. Et il y a, oui, un appel vers un ailleurs aussi. D’un côté, il incarne la tentation de la colère viscérale, mais aussi un monde en mouvement, un peu comme les Indignés qui tentent de faire entendre leur voix. Le personnage d’Elias constitue son opposé mais aussi son double.

 

La dernière partie de la pièce marque un apaisement après la rage, en est-il ainsi dans la partition musicale ?

 

La musique épouse tous les climats du texte y compris l’humour, par exemple à propos de la mère d’Oswald. Les musiciens rendent compte de la vie, tout court. Et comme le dirait Deleuze : « L’art, ça consiste à libérer la vie que l’homme a emprisonnée ».

 

Votre univers, c’est celui de Communiqué # 10, celui de la ville, de la nuit, de l’humour aussi ?

 

J’évoque des espaces périphériques, des no man’s land comme autant de transitions symboliques qui renvoient à la société qui change. Je crois qu’il faut faire porter notre regard sur ce que la société fait de ses exclus et ce, à travers la poésie mais aussi le réel comme lorsque je fais référence aux émeutes de 2005 dans cette pièce. La plupart de mes pièces, jusqu’à maintenant, traitent de personnages qui ne trouvent pas leur place dans la société telle qu’elle existe, qui vivent aux marges de celle-ci dans des espaces qui devraient mais ne sont pas les leurs. Ils sont tous perdus dans le monde où ils vivent et dans lequel ils ne se reconnaissent pas, cherchant à rencontrer l’autre.

 

Pensez-vous que la violence puisse être endiguée ?

 

Notre société est verrouillée mais la vie surgit à travers la violence, la rêverie, l’amour. Et la musique traduit tout cela.

 

Pouvez-vous justement expliquer le choix du dispositif musical : guitare électrique, léger équipement de batterie et vibraphone ?

 

Nous étions partis initialement sur un duo guitare-violoncelle et très vite après ma rencontre avec la percussionniste Melissa Acchiardi, il a été évident que cela devait fonctionner ainsi entre tension rivée au sol et une dimension plus aérienne avec le vibraphone…

 

En somme, ce sont les rencontres, les expérimentations qui vous permettent d’aboutir à telle ou telle solution ?

 

C’est par le travail en commun que nous trouvons ensemble une forme et ce fut le cas pour Oswalddavantage que pour d’autres poèmes rock comme Erold.

 

Vous accordez donc comme d’autres auteurs contemporains une importance manifeste à la musique ?

 

Oui parce que grâce à elle, s’instaurent plusieurs plans : narratif, épique, cabaret… La multiplicité des formes en tout cas me semble fondamentale. J’ai travaillé avec un danseur (Romain Bertet) sur un spectacle au théâtre Am Stram Gram à Genève, je crois beaucoup en la mixité des esthétiques. Je ne donne pas une seule visée au théâtre. Plus j’avance, plus je pense que le théâtre et les arts en général sont là pour « indiscipliner les esprits » ; donner à entendre des représentations multiples à l’existence humaine et de la société ; remettre en question les représentations mortes et stériles. Contester ce qui nie la vie. Aujourd’hui d’un côté, l’obsession identitaire avec le rejet de l’autre, le repli sur soi, sur sa bêtise, sa peur, et de l’autre la résignation, la lassitude et le désenchantement généralisé. Ce qui compte le plus dans une œuvre, ce sont les questions qui la font émerger. Et je suis sensible à celles où l’on entend un appétit pour le monde, pour l’autre, un désir d’exister, une agressivité vivante, une vision de l’existence humaine où, oui évidemment, il y a le tragique, la mort, la violence, l’insoluble mais où il n’y a pas que cela, où il y a aussi une part où nous pouvons participer au monde, le rendre plus juste. C’est Daniel Bensaïd qui disait cela : le politique, c’est la part non fatale du devenir.

 

Entretien mené par Marie Du Crest

 

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.