Identification

Entretien avec Chris Womersley, à propos du livre "Les affligés"

Ecrit par Yann Suty 21.06.12 dans La Une CED, Entretiens, Les Dossiers

Propos recueillis par Yann Suty

Entretien avec Chris Womersley, à propos du livre

 

Votre livre va dans plusieurs directions. Il est difficile à rattacher à un genre en particulier. Drame de l’après-guerre ? Histoire de vengeance ? Fantastique ? Roman gothique ? Western ? En tout cas, c’est un livre riche en interprétations. Est-ce que c’était une volonté de votre part de faire un livre insaisissable, qui nous embarque sur de multiples pistes ? Qui s’amuse même à nous tromper ?

 

Je suis ravi que vous le décriviez comme un livre riche et je pense que c’est entre autres ce qui fait son intérêt : il peut plaire à des personnes aux goûts littéraires variés. J’ai été inspiré par de très nombreuses sources, du roman d’Emily Bronte, Les Hauts de Hurlevent à L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Même si ce n’était pas mon intention première d’explorer autant de genres, je voulais tout de même écrire un livre qui puisse être perçu de multiples façons, tant en ce qui concerne les thèmes que les personnages. J’aime l’ambiguïté fictionnelle, donner aux lecteurs plus de questions que de réponses.

Le personnage de Quinn n’est pas un héros au sens habituel du terme. Au début du livre, il jette sa médaille de guerre à la mer, comme s’il ne se considérait pas comme un héros. On le découvre comme quelqu’un de peureux, de lâche. Pourquoi un personnage aussi peu héroïque ?

 

J’ai tendance à croquer des personnages qui sont plutôt passifs et réticents à se jeter dans l’action, à moins que cela ne soit absolument nécessaire. Je ne saurais vous expliquer pourquoi. Pour moi, j’aime suivre des personnages forcés d’agir à l’encontre de leur personnalité. La passivité de Quinn est le fruit du traumatisme provoqué par ce qui est arrivé à sa sœur et également du temps passé à combattre en France. Il se considère comme un lâche, pas comme un héros.

 

On a l’impression que Quinn ne grandit pas. Quand il revient chez lui après près de dix ans d’absence, il est presque le même que celui qui est parti. Que voulez-vous signifier par là ? Que la guerre n’est qu’une parenthèse irréelle ? Que lorsqu’on revient sur les terres de son enfance, on est toujours un enfant ?

 

Le développement émotionnel de Quinn a été freiné par le traumatisme qu’il a vécu dans son enfance, enfance qu’il est incapable de laisser derrière lui. Je m’intéresse à ces moments dans une vie où une décision – qui peut sembler simple sur l’instant – a des conséquences inimaginables, ces moments qui nous reviennent souvent dans les moments de stress.

 

L’idée de nation australienne est née avec la première guerre mondiale. Pourtant quand Quinn rentre chez lui, il trouve tout sauf un pays. Au contraire, c’est une sorte d’autre guerre qui règne. Des hommes en arme sillonnent la campagne. Une quarantaine est imposée. Qu’est-ce que vous voulez montrer par là ?

 

Il est vrai que durant la Première Guerre Mondiale, l’Australie a payé un tribut bien lourd pour une si petite nation, et cela ne s’est pas arrêté avec la guerre. Pour Quinn, le paysage qu’il retrouve n’est pas très différent des champs de bataille français – machines détruites, sols ravagés, visions de meurtre et de destruction. Par cela, je souhaitais démontrer que les événements qui nous marquent (la guerre, notamment) continuent à affecter profondément nos vies, bien après avoir eu lieu.

 

Quinn trouve refuge dans la nature. Il croise un serpent au début, mais ensuite elle n’a rien de menaçant. La nature est-elle vraiment un refuge ?

 

En Australie, nous avons une relation complexe avec notre environnement naturel ; nous l’aimons et le craignons à la fois. C’est un pays magnifique, mais les plages et les déserts se font également menaçants – plein de serpents et d’araignées, d’espaces gigantesques et asséchés. Mais Quinn se sent plus chez lui dans cet environnement que dans n’importe quel autre. La nature lui offre un abri et, à la fin, prend presque vie pour l’aider.

 

Il y a une dimension éminemment fantastique quand Quinn rencontre Sadie. Elle paraît comme un double de Sarah, mais on a du mal à savoir si elle est réelle. Elle surgit à tout moment. On a l’impression qu’elle se transforme en serpent. Elle est très débrouillarde. Pourquoi cette dimension fantastique ? Est-ce que c’est une manière de sublimer le réel ?

 

Au fond, je voulais que les lecteurs se posent la question de l’existence de Sadie tout autant que se la pose Quinn. Ce faisant, je voulais que le lecteur fasse l’expérience du monde à travers le point de vue de Quinn, avec toute son irréalité et son incertitude. Il souffre évidemment d’un stress post-traumatique qui remet en question toutes ses certitudes. Le « gothique » est un genre littéraire qui laisse beaucoup de place à l’entre-deux qui sépare toutes ces choses que nous prenons pour acquises – la vie et la mort, les rêves et le sommeil, l’adulte et l’enfant… Je voulais écrire un livre qui explore cet entre-deux.

 

J’ai fait une supposition. Quinn symbolise l’Australie blanche, celle des colons. Sadie symbolise l’Australie des aborigènes, car elle a une dimension mystique. Mais si Sara est morte, est-ce que cela veut dire que c’est une sorte d’assimilation ?

 

Je n’en suis pas si sûr. Aucune des superstitions de Sadie ne sont reliées à des rites ou des cérémonies aborigènes (du moins à ce que j’en sais). Sa « magie » est un moyen pour elle d’avoir le contrôle sur son environnement et pour y parvenir elle utilise tout ce qui lui tombe sous la main. Pour Quinn, Sadie est un pont entre les morts et les vivants, le présent et le passé.

 

Est-ce que Quinn est vivant ? On a annoncé à sa mère qu’il est mort. Il revient, mais il n’a pas le même visage qu’avant, il est défiguré. Vous créez une légende, celle d’un monstre. Rien que par son visage, il fait peur aux enfants. Mais il acquiert une dimension mystique, il devient le croque-mitaine. Est-ce que vous pouvez nous éclairer sur le sujet ?

 

Je préfère laisser la question de l’existence de Quinn au jugement du lecteur, mais Les Affligés est en partie un roman qui parle d’histoires. Je voulais explorer la façon dont nous racontons des histoires sur nous-mêmes, pas seulement en tant qu’individus mais aussi en tant que communautés. Quinn est une sorte de créature mythique, sortie de l’imagination des habitants de Flint en réaction au meurtre de sa sœur, ce qui ne fera qu’empirer à la fin de l’histoire. Souvent, la rumeur a  plus de poids que la vérité.

 

Question plus générale. Quels sont vos maîtres littéraires ? Vos influences de manière plus globale ?

 

Je ne suis pas sûr d’avoir des mentors à proprement parler. A différentes époques de ma vie, j’ai été influencé par Marguerite Duras, Michael Ondaatje, Tom Waits, Nick Cave, Martin Amis, Mary Shelley, Sergio Leone, John Cheever et Marquez, pour ne citer qu’eux.

 

Quels sont les auteurs australiens à suivre selon vous ?

 

Je pense que tout le monde devrait lire la Véritable histoire du gang Kelly de Peter Carey. C’est un livre absolument incroyable. Cate Kennedy est également une excellente auteure, tout comme Joel Deane, Kalinda Ashton et Josephine Rowe.

 

Propos recueillis par Yann Suty

 

recension du livre par Yann Suty

recension du livre par Virginie Neufville



  • Vu : 2512

Réseaux Sociaux

A propos du rédacteur

Yann Suty

Tous les articles de Yann Suty

 

Membre fondateur


Yann Suty est écrivain, il a publié Cubes (2009) et Les Champs de Paris (2011), chez Stock