En attendant demain, Nathacha Appanah
En attendant demain, juillet 2016, 215 pages, 7,10 €
Ecrivain(s): Nathacha Appanah Edition: Folio (Gallimard)
Nathacha Appanah, auteure mauricienne, signait avec ce roman paru chez Gallimard en janvier 2015, sorti dans la collection Folio en juillet 2016, un récit intimiste mettant en scène :
– Adam, Basque, architecte, bûcheron, ébéniste et artiste peintre
– Anita, Indo-Mauricienne, écrivaine, poète, journaliste
– Adèle, Mauricienne, sans-papier, clandestine, femme de ménage au noir
Au centre du triangle, Laura, la fille d’Adam et d’Anita.
L’action se déroule à Paris, puis au pays basque, sur le littoral atlantique, avec des incursions rétrospectives à Maurice. Le personnage principal est Anita. Son point de vue est principalement celui du narrateur, lequel semble parfois se confondre avec celui de l’auteure elle-même tant est fort le sentiment de réalité vécue, empreinte d’une nostalgie du pays natal commune à tout exilé, contenue mais latente, qui se dégage des pensées, rêveries et réactions de la jeune femme.
Le schéma narratif est plutôt classique. En situation initiale sont racontés les itinéraires parallèles respectifs du jeune Français provincial et de la jeune Indo-mauricienne venus étudier à Paris et se sentant tous deux étrangers dans un milieu universitaire dans lequel ils ont vainement essayé de s’intégrer.
L’élément déclencheur est un réveillon d’étudiants auquel sont invités les deux personnages, qui ne se connaissaient pas jusque là. C’est la rencontre, sur un constat partagé :
« Je ne suis pas à ma place ici ».
Cette conjonction marque le début d’une période d’équilibre pour les deux personnages alors réunis sur une trajectoire commune : formation du couple, quelques années de galère consentie à Paris, installation dans la maison du bonheur au pays basque, entrée, pour Adam, dans la vie professionnelle, naissance de Laura…
Premier élément perturbateur après quelques années sans heurt : le réveil, chez Anita, du besoin d’écrire et de répondre à sa vocation de journaliste.
La situation se dégrade lentement. L’attrait de l’exotisme se dilue dans l’habitude.
Adam se retourne et, pendant une fraction de seconde, il a l’impression de se retrouver devant une inconnue. Où est passée sa femme aux cheveux longs, aux yeux brillants, aux grandes jupes colorées et au parfum de vanille ?
La survenue d’un second élément perturbateur donnera au récit un tour décisif : Laura rencontre une compatriote, Adèle qu’elle installe à demeure.
Le triangle romanesque tragique étant constitué, le roman s’oriente vers le drame.
L’intrigue, intense, car l’auteure sait faire naître, entretenir et lentement croître le suspense et la tension, est la trame sur laquelle elle épingle une série de questions existentielles et sociétales.
Oublie-t-on jamais ses racines, ses origines, sa culture, son histoire d’avant l’exil ?
Où, pourquoi et comment se sent-on étranger ?
Comment se fait, bien ou mal, l’intégration, dans la société française, de l’immigrée, repérée par la couleur de sa peau, son accent, sa façon d’être ?
La première fois, dans ce village, elle n’avait pas compris ces regards en même temps surpris et interrogateurs. On lui avait répondu avec politesse mais méfiance. […] Quand elle arriva à sa voiture, elle surprit son visage dans la vitre et soudain elle comprit. Elle n’était pas du tout celle qu’ils attendaient…
Son identité culturelle revient brusquement envahir Anita lors d’un concert de maloya que vient donner dans la région un chanteur dont le nom n’est pas cité mais dans le portrait de qui les lecteurs des Mascareignes reconnaîtront facilement l’artiste réunionnais Danyel Waro.
Ces racines culturelles qui ré-affleurent, ces différences qui résistent au temps et au contexte marquent forcément la relation conjugale d’un couple dit « mixte » (titre d’un des chapitres) tel que celui que forment Adam et Anita, relation que complexifient les questions relatives au statut de la femme dans notre société, dans son foyer, dans son travail.
Il lui parle des poilus, des résistants […]. Elle lui raconte l’histoire de son arrière-grand-père arrivé à l’île Maurice pour remplacer les esclaves sur les champs de canne. Elle trouve impensable qu’on puisse manger du museau, il trouve impensable qu’on mange des piments…
Au fil de l’histoire personnelle d’Adèle, l’auteure dénonce la situation de la femme immigrée clandestine sans papiers travaillant au noir et conséquemment exploitée.
Les liens compliqués qui se tissent, dans la deuxième partie du roman, entre Anita et Adèle, entre Adèle et Adam, sont la source d’une réflexion sur l’amitié, la fidélité, l’adultère.
En somme, un roman multidirectionnel, multidimensionnel, multiculturel, à résonances socioculturelles multiples…
Patryck Froissart
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