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Dictionnaire littéraire et culturel de l’insecte, sous la direction d’Alain Montandon (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier le 04.04.24 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Editions Honoré Champion

Dictionnaire littéraire et culturel de l’insecte, sous la direction d’Alain Montandon, Honoré-Champion Editeur, 2023, 786 pages, 90 €

Dictionnaire littéraire et culturel de l’insecte, sous la direction d’Alain Montandon (par Gilles Banderier)

« And now the scene came swiftly into focus, and staring back at him, showing neither enmity nor friendship, neither excitement nor indifference, were the fathomless eyes of the Watchers. The thin, grotesquely articulated figures stood around him in a close-packed circle, looking down at him across a gulf which neither his mind nor theirs could ever span. Other men would have felt terror, but Marlan only smiled, a little sadly, as he closed his eyes forever. His questing spirit had reached its goal ; he had no more riddles to ask of Time. For in the last moment of his life, as he saw those waiting round him, he knew that the ancient war between Man and insect had long ago been ended, and that Man was not the victor ».

« Et maintenant, très rapidement, la scène devenait plus nette : le dévisageant, ne montrant ni amitié ni hostilité, ni agitation ni indifférence, les yeux insondables des Veilleurs lui apparurent. Ces silhouettes minces, aux articulations grotesques, se tenaient autour de lui en cercle serré, le regardant par-delà un abîme que ni son esprit ni les leurs ne pourraient jamais franchir.[...]

[...] D’autres hommes auraient éprouvé de la terreur. Marlan se contenta de sourire, un peu tristement, pendant qu’il fermait les yeux pour toujours. Son âme inquiète avait atteint son but ; il n’avait plus de questions à poser au Temps. Car, dans ce dernier moment de sa vie, en découvrant ceux qui s’empressaient autour de lui, il avait appris que la guerre ancestrale entre l’Homme et l’insecte était achevée depuis longtemps. Et que l’Homme n’en était pas sorti vainqueur » (traduction Adrien Veillon), écrivait Arthur C. Clarke à la fin de sa nouvelle The Awakening (1952), imaginant un homme se retournant sur sa planète natale après des millénaires de sommeil (Clarke reviendra sur le thème dans un autre récit, The Next Tenants, 1957).

Au fil des millénaires et des continents, aussi loin que l’on puisse remonter, les rapports entre le monde grouillant des insectes et celui des humains (combien de fois a-t-on comparé les grandes métropoles à des fourmilières ?) ont hésité entre détestation et coopération, extermination et domestication. Certes, personne ne regrettera l’époque où l’on pouvait classer les auberges en fonction du nombre de puces qui assaillaient le voyageur pendant son séjour, mais la disparition de ces insectes piqueurs (contrairement aux poux, qui retournent à l’école chaque année avec une régularité de métronome) illustre le processus en cours d’aseptisation du monde.

Aucune bibliothèque publique ou privée digne de ce nom, qu’elle s’intéresse à la littérature ou aux sciences du vivant (dont l’entomologie fait partie), ne pourra ignorer cet admirable Dictionnaire littéraire et culturel de l’insecte, dirigé par le Pr. Alain Montandon, assisté de plus de trente collaborateurs. Que convient-il de louer en premier, de l’ampleur panoramique de l’érudition, de l’ouverture aux autres civilisations (caractéristique de la littérature comparée dans ce qu’elle a de meilleur), de la précision de l’information (certains articles, comme « Sauterelle », sont accompagnés de huit pages de bibliographie) ? Ordre alphabétique oblige, cet ouvrage copieux commence bien entendu par l’abeille, chantée par Platon, Virgile, et le pape Urbain VIII Barberini qui portait ces hyménoptères sur son blason (où elles remplacèrent des guêpes) et réunissait autour de lui un cénacle de poètes néo-latins nommé les « abeilles barbériniennes », sans parler des abeilles d’or retrouvées en 1653 dans la tombe du roi Childéric Ier. Une des variétés d’abeilles les plus renommées – la Buckfast – porte le nom de l’abbaye anglaise dans laquelle elle fut créée par un moine bénédictin, dom Adam Kherle (1898-1996), en croisant de manière empirique onze races différentes. Ordre alphabétique oblige, toujours, l’abeille voisine avec l’araignée, comme dans l’apologue de Swift.

Il est naturellement question des écrivains entomologistes, certains bien connus, comme Nabokov, ou Jünger (qui répétait, ne plaisantant qu’à moitié, que son souvenir survivrait plus grâce aux coléoptères qui avaient reçu son nom dans la nomenclature linnéenne que par son œuvre littéraire proprement dite), qui eussent peut-être mérité une notice à part, comme y ont droit Fabre (qui est une gloire au Japon), et Maeterlinck ; d’autres moins (Charles Nodier), mais également de minores (de notre point de vue, en tout cas) comme les auteurs de bestiaires médiévaux, ou l’abbé Delille. Les écrivains voisinent avec les dessinateurs, comme Anna Maria Sibylla Merian (1647-1717), ou le moine vanniste dom Claude Fleurant (1744-1802), qui réalisa des manuscrits entomologiques entre 1776 et 1777 (Bibliothèque municipale de Saint-Dié, ms. 49). Au gré des pages, on voit passer des insectes de bonne renommée (la cigale, la libellule) ou de mauvaises réputations, tels la mante religieuse (qui dévore en partie son mâle avant l’accouplement) et le cafard (c’est l’occasion de rappeler que rien, dans la Métamorphose de Kafka, n’indique que la créature dans laquelle se transforme Gregor Samsa soit un cafard). Sans doute pour des raisons de conservation, les insectes sont très rarement représentés au sein des cabinets de curiosités. Attendu qu’ils refusent aussi obstinément que les chats de se laisser dresser (bien que le dressage individuel d’un insecte ne soit pas sans exemple), le cinéma en a fait un usage peu fréquent et ambigu, soit dans des productions de série B comme Des Monstres attaquent la ville (1954, sur les conséquences d’essais nucléaires), ou La Malédiction de la veuve noire (1977), ce qui amène au genre policier (la chrysalide dans Le Silence des agneaux) et à la science-fiction (le processus reproductif de la créature d’Alien s’inspire sans doute d’un roman d’A. E. van Vogt), et tous deux transposent dans l’univers extraterrestre le comportement de certaines espèces de guêpes.

Alain Montandon a eu la sagesse de laisser une certaine liberté à ses collaborateurs et n’a pas coulé chaque article dans un moule unique. Les articles sur la Chine, le Japon et l’Inde (où une secte bouddhique, les Jaïns, a poussé jusqu’à des limites qu’il semble difficile de dépasser l’impératif absolu du respect de toute vie, même la plus insignifiante en apparence) forment de véritables monographies. Le propre d’un livre de ce genre est d’appeler des compléments et de nouvelles explorations (Bernard Werber est bien présent parmi les fourmis, mais il manque Le Cafard de Ian McEwan, variation brillante sur la Métamorphose de Kafka, même si son message politique tombe à plat). On aura compris que ce Dictionnaire littéraire et culturel de l’insecte n’est pas un de ces ouvrages de saison, que l’on n’achète et que l’on ne garde sur ses rayons que quelques semaines ou quelques mois avant de le déposer dans une boîte à livres. Il est appelé à devenir un usuel.

 

Gilles Banderier

 

Alain Montandon, directeur de l’ouvrage, est professeur émérite de littérature comparée, membre honoraire de l’IUF. Il a dirigé de très nombreux travaux collectifs, dont Écrire les saisons (2018), Observer et décrire (2022), L’insecte dans tous ses états (2022).



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A propos du rédacteur

Gilles Banderier

 

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Docteur ès-lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. Dernier ouvrage publié : Les Vampires. Aux origines du mythe (2015).