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Désirable, Yann Queffélec

Ecrit par Patryck Froissart 05.09.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Le Cherche-Midi

Désirable, juin 2014, 286 pages, 18,50 €

Ecrivain(s): Yann Queffélec Edition: Le Cherche-Midi

Désirable, Yann Queffélec

 

Désirable !

Le titre, éponyme du prénom d’une des héroïnes, peut s’appliquer à la qualité intrinsèque de ce roman d’amour, de bruit, de fureur, de violence, de souffrance et de dérision.

Désirable, en effet, c’est ce que devient immédiatement le texte, pour tout lecteur inévitablement pris de l’irrépressible faim dès qu’il a lu les premières lignes de lire les suivantes, de page en page, de chapitre en chapitre, jusqu’à la fin, jusqu’à cet instant frustrant où le cours s’arrête, où naît cette autre envie, prévisible, de replonger, de reprendre à la source, à l’amont du fleuve, et de se laisser à nouveau entraîner dans les tourbillons que connaît la vie de Nidivic en l’an 2015, temps du récit.

Nidivic et son épouse Yolanda trimballent un lancinant sentiment de culpabilité depuis que leur enfant a été emporté par une vague en 2004 alors qu’ils s’envoyaient en l’air derrière la dune…

Après onze années à traîner la savate et son boulet de remords dans une existence sans but, sans futur, sans saveur, emplie de brume, uniquement sous-tendue par des pulsions sexuelles ponctuelles et par les dessins du poisson parlant Chob’s, possible réincarnation de son fils avalé par l’océan, dont un éditeur peu connu publie des albums en série, Nidivic fait une drôle de rencontre au milieu des bois.

C’est à partir de là que sa putain de long fleuve de vie tranquillement douloureux va s’emballer et traverser de tumultueux et dangereux rapides.

En 2015…

Désirable et sa sœur Noëlle, une sacrément belle paire de jumelles nymphomanes, vont saccager ses jours, et compromettre abruptement le « plan cul » qu’il est sur le point de mener à bien avec Alison, la serveuse du Cygne d’Argent… Son copain Jef, un homosexuel qui voudrait bien connaître enfin la femme après avoir perdu son amant, se met en tête de cocufier notre Nidivic avec Yolanda, qui, à la réflexion, ne dirait pas non, puisque son couple fait chambre à part depuis la mort du petit… Le promoteur Krenn, au passé louche, au présent trouble et au futur fumeux, veut lui racheter Chob’s… mettre fin aux aventures du poisson à bulles, et obtenir de Nidivic une série d’albums faisant la promotion, par le jeu du personnage d’Eolia, de son projet grandiose d’installation près du village du plus grand parc d’éoliennes du monde. Du vent…

« Une bonne bouille d’éolienne, c’est ça dont le public a besoin… Ils ont aimé la locomotive à vapeur, cette machine de crasse et de boucan, ils aimeront la bonne mère Eolia. A vous d’en faire un totem bon enfant, un menhir de grâce aux ailes profuses, jamais lasses de tourner, de faire de l’or avec du vent ».

Les événements s’enchaînent, incroyables, dans la démesure. C’est rabelaisien puissance dix. On s’éberlue. On hallucine. On suffoque. Tous les acteurs, à un moment ou à un autre, ont leur heure de délire. L’enfant mort intervient à la première personne dans la narration, y jette son grain de sel, crée ou accroît, ici ou là, la confusion. Les autres personnages s’en mêlent à leur tour, confisquent la parole, se font narrateurs, se racontent, se confessent, accusent.

Telles scènes sont tout à la fois barbares et burlesques, telles autres se vivent acerbes par les dialogues et tendres par les actes, et inversement, d’autres encore mêlent fantômes et fantasmes, rêves, cauchemars, et, peut-être bien, quand même, quelquefois, mais on en est rarement sûr, quelque réalité. Intérieurement, le lecteur peut en même temps hurler d’effroi, avoir la nausée, et se tordre de rire. Il y a des quartiers d’Orange Mécanique là-dedans… L’auteur, c’est manifeste, s’est régalé, a joué, a joui à faire de chaque personnage le tourmenteur de l’autre.

La langue de Queffélec, une des plus ragoutantes qui soient, tantôt plaisante macédoine, tantôt aigre fricassée, tantôt zambrocal pimenté, toujours mélange abruptement inattendu d’éléments soutenus, poétiques, familiers, vulgaires, chambarde le lecteur, le chamboule, le précipite dans un mouvement narratif échevelé, l’affole… et le ravit, forcément.

« J’suis en manque d’homme, ça t’arrive jamais ? Il a fallu que je tombe sur toi, laideron, tu dis quoi ?

– Je…

– C’est quoi ton problème ? C’est les filles, ton problème ? T’es puceau ? T’as jamais vu une blonde à cheveux noirs ? Il te faut un poil témoin ?

– En fait, j’attends un ami, je…

Il n’eut pas le temps de finir.

– …Moi je pense que t’as un grain, dit la fille, t’as les cheveux sales, le teint gris, t’es rasé comme une merde et j’aime pas tes yeux tombants… Fais voir ton haleine de chacal ?… T’as évacué, ce matin ? »

Proprement succulent, n’est-ce pas ?

On en reveut, on en reprend, l’œil brillant de convoitise.

Désirable !

 

Patryck Froissart

 


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A propos de l'écrivain

Yann Queffélec

 

Yann Queffélec est né à Paris en 1949. Il est le fils du romancier Henri Queffélec (1910-1992). Sa sœur Anne Queffélec, née en 1948, est une célèbre pianiste concertiste. Critique musical, en 1981 il publie un essai sur Béla Bartók. Encouragé par la célèbre découvreuse de talents qu’était la directrice d’édition Françoise Verny (1928-2004), il publie son premier roman, Le Charme noir en 1983. Le livre suivant, Les Noces barbares, rencontre un large succès et obtient le Prix Goncourt en 1985. Il a produit depuis de nombreux romans et un recueil de poésie. Il a animé en 1991 un roman interactif sur internet, Trente jours à tuer, et a écrit des paroles de chansons pour Pierre Bachelet. D’origine bretonne, Yann Queffélec est un passionné de navigation à voile. Il a rédigé une biographie d’Éric Tabarly, parue en 2008. Il a apporté son soutien aux familles du Bugaled Breizh en attente de vérité sur les causes exactes de la disparition du chalutier et a fait paraître Adieu Bugaled-Breizh en 2009.

Bibliographie :

Béla Bartók, 1981. Le Charme noir, 1983. Les Noces barbares, 1985 (Prix Goncourt). La Femme sous l’horizon, 1988. Le Maître des chimères, 1990. Prends garde au loup, 1992. Noir animal La Menace, 1993. Disparue dans la nuit, 1994. Et la force d’aimer, 1996. Le Pingouin mégalomane, 1994. Toi l’horizon, 1999 (Éd. Cercle d’art). Osmose, 2000. Jeanne Champion Idoles, 2002 (Éd. Cercle d’art). Boris après l’amour, 2002. Vert cruel, 2003. La Dégustation, 2003. Moi et toi, 2004. Les Affamés, 2004. Les Soleils de la nuit, 2004. Ma première femme, 2005. L’Amante, 2006. Mineure, 2006. Le plus heureux des hommes, 2007. L’Amour est fou, (2007). Passions criminelles, 2008 coécrit avec Mireille Dumas. Barbaque, 2008. Tabarly, 2008. Adieu au Bugaled Breizh, 2009. La Puissance des corps, 2009. Le Piano de ma mère, 2009. Les Portes du vent, 2009 (roman jeunesse). Dictionnaire amoureux de la Bretagne, 2009. Les Sables de Jubaland, 2010. Les Oubliés du vent, 2010

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart


Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.

Membre des jurys des concours nationaux de la SPAF

Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)

Membre de la SGDL

Il a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles, dont certains ont été primés, un roman et une réédition commentée des fables de La Fontaine, tous désormais indisponibles suite à la faillite de sa maison d’édition. Seuls les ouvrages suivants, publiés par d’autres éditeurs, restent accessibles :

-Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)

-Li Ann ou Le tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)

-L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)