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Des voix dans l’obscur, Françoise Ascal

Ecrit par France Burghelle Rey 12.07.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Des voix dans l’obscur, éd. Æncrages& Co, 2015, dessins de Gérard Titus-Carmel, 44 pages, 21 €

Ecrivain(s): Françoise Ascal

Des voix dans l’obscur, Françoise Ascal

 

Le recueil de Françoise Ascal, Des voix dans l’obscur, accroche la lecture dès l’incipit par le neutre liminaire, un « ça » à la Giono, mimant « l’afflux des mots », mise en abyme du  travail de l’auteur.

Le texte à proprement parler commence par un hommage à la morte (la mère ?) dont la musique provient des répétitions de mots-outils et d’infinitifs. Ecriture au lyrisme discret qui entraîne à poursuivre la découverte poétique.

Alors, dans la confusion des pronoms, se forme l’idée d’un dédoublement comme souvent en provoque l’acte d’écrire (1). De ce fait, de ses bras à « elle », quand « j’écris pour me libérer de leurs songes / rejoindre les vivants », naît le « tu » prisé par la poétique contemporaine et qui accentue ici le mystère de l’énonciation.

De brèves strophes aux mètres libres allant jusqu’à prendre la forme de versets se multiplient de deux à six dans la page. Des vers courts y côtoient de longs paragraphes qui se lisent dans un seul souffle. La respiration se retient comme celle des morts qui rôdent : « est-ce que le morts parlent » ; il y a enfin la peur qui devient ombre quand se perd le nom.

Mais, « au crépuscule », la nature reprend ses droits et, même si « la mort frappe », permet le repos. Une pause qui ouvre la voie à la définition possible, sinon d’une identité, du moins d’un comportement : « perdre du temps n’est pas à ton programme ». Puis viennent encore des fantômes, ceux qui hantent les rêves de la narratrice. Et bientôt les voix, les autres qui la harcèlent la font aspirer à la solitude. A ce propos les grands traits désarticulés de Gérard Titus-Carmel illustrent parfaitement les textes qui leur font face.

Françoise Ascal cède plus loin à la tentation de la narration avec le bref récit d’une course de vaches sous l’orage. « La vie s’ébat » mais « la mort blanchit et s’immisce dans le sang violet des myrtilles » ; il s’agit également de la mort des busards. Aussi se pose-t-elle la question essentielle : « se peut-il que le mot joie disparaisse du vocabulaire humain » puisque, pire qu’un cauchemar, la mort, dans une apocalypse, l’emporte sur le vivant. Tout est mis en cause jusqu’à l’origine et la vie des voix. La vie aussi des mots.

Quelle est donc la solution évoquée ? Disparaître ? Rejoindre les oiseaux ?

Il y a heureusement « le fil à coudre », celui « des mots-sutures » qui naissent sans fin et affament contrairement aux mots du paradis des origines « qui coulaient ensemble unis par le chant ». Il reste, à la fin du recueil, et elle est admirable, une solution d’ordre philosophique. Utopique par son conditionnel : « il faudrait apprendre à devenir », elle peut néanmoins aider à vivre. La chute est superbe car la poète s’y montre phœnix en formulant l’espoir d’une voix à attendre et le constat d’un cycle : « la vie est ronde / l’avenir attend ton retour ».

 

France Burghelle Rey

 

  1. Marguerite Duras parle d’un « dédoublement de l’être humain dans l’écrit ».
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A propos de l'écrivain

Françoise Ascal

 

Françoise Ascal, née en 1944, est poète et écrivain. Elle vit et travaille dans un village de Seine-et-Marne. Elle a travaillé avec des peintres (Alexandre Hollan, Yves Picquet, Jacques-Pierre Amée, Philippe Aubry, Jacques Clauzel, Alain Boullet...), un calligraphe (Ghani Alani, auprès duquel elle a suivi une inititation), un vidéaste (Alexandre Simon), et donné de nombreuses lectures accompagnées de musiciens (Jérôme Lefebvre, Gaël Ascal, Sylvie Moquet...).

À travers différentes formes (poèmes, récits, notes de journal, livres d’artistes) ses textes interrogent la matière autobiographique, explorent la mémoire et ses failles, croisent l’intime et le collectif.

Elle a été l’invitée de festivals en France (Voix de la Méditerranée, Les Tombées de la nuit, Musique et Mémoire, etc.) et à l’étranger (Rencontre internationale des Écrivains de Montréal, Festival mondial de Poésie de Caracas au Venezuela).

 

A propos du rédacteur

France Burghelle Rey

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : poésie, littérature

Genres : recueils, essais, récit

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, éditeurs divers

France Burghelle Rey est Paris, a enseigné les Lettres classiques et vit actuellement à Paris où elle écrit et pratique la critique littéraire. Elle est membre de l'Association des Amis de Jean Cocteau et du P.E.N. Club français.

Plus de cent textes parus dans de nombreuses revues et anthologies ainsi que plus de soixante-dix notes critiques(Nouvelle Quinzaine littéraire, Poezibao, Europe, La Cause littéraire, Place de la Sorbonne, CCP, Recours au poème, Texture, Temporel etc.).

Elle a écrit une quinzaine de recueils dont Lyre en double paru aux éditions Interventions àHaute voixen 2010 puis chez La PorteRévolution en 2013 suivi de Comme un chapitre d'Histoire en 2014 et de Révolution IIen 2016. Le Chant de l'enfance(Prix Blaise Cendrarsadultes) a été publié aux éditions du Cygneen juillet 2015, Petite anthologie, ( Confiance, Patiences et Les Tesselles du jour )chezUnicitéen 2017 et Après la foudrechez Bleu d'encreen 2018.

 

Les derniers textes augmentés de L'Enfant et le drapeau (à paraître chez Vagamundo), naissance rédemptrice d'un " ange " dans un monde en désolation, veulent exprimer l'expression d'une nécessaire présence au monde en souffrance. Elle achève en 2017 un recueil encore inédit en trois parties sur le thème du lieu puis en 2018 commence un récit poétique.

 

Elle a collaboré avec des peintres (Georges Badin) et la graveur Hélène Baumel pour un certain nombre de livres d'artistes.

L'un des ses romans, le premier,  L'Aventure, est publié chez Unicitéau printemps 2018

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