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Des lions comme des danseuses, Arno Bertina

Ecrit par Marc Ossorguine 16.10.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, La Contre Allée

Des lions comme des danseuses, février 2015, 64 pages, 6 €

Ecrivain(s): Arno Bertina Edition: La Contre Allée

Des lions comme des danseuses, Arno Bertina

 

« De quoi l’Europe est-elle le nom ? » aurait pu être le sous-titre de ces Lions. Arno Bertina se projette dans un futur proche et vient questionner la présence des « arts premiers » dans les musées de France et d’Europe, à commencer par celui du Quai Branly. Une question qu’il fait poser par le roi de Bangoulap, le Fo’ Yankeu Jean, à l’administrateur dudit musée : il serait bien étrange que les ressortissants de son royaume payent l’entrée du musée pour voir des œuvres qui viennent de chez eux ; donc le roi exige la gratuité du musée pour ceux-ci. Précisons que le royaume et le roi en question existent bien, en pays Bamiléké à l’ouest du Cameroun. Précisons aussi, pour ceux qui n’auraient pas suivi ces débats qu’une telle demande (a-t-elle vraiment été faite ? nous sommes là sur la limite entre fiction et réel…) s’inscrit dans les démarches et programmes de restitution des œuvres d’art menés sous l’égide de l’Unesco (l’agence des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture). L’auteur s’amuse alors à imaginer les conséquences de cette demande, qui semble des plus légitimes, des plus logiques, même. Et voilà l’Europe, ou plutôt la CEE, interrogée dans ses fondamentaux, ses logiques et arguties libérales qui savent si bien – dans le discours et dans les actes – transformer les rapports de domination culturels institués en libertés économiques assumées et recherchées – par ceux à qui elles profitent surtout, bien entendu.

On peut sourire et même rire, mais jaune, à la lecture de cette politique fiction. On peut aussi y voir, sous le masque de l’ironie, une critique sans concession du monde tel qu’il est, tel qu’il est devenu et tel que certains le voudraient, encore plus fort, encore plus radicalement inégalitaire. Cela résonne aujourd’hui bien fort dans l’actualité car, l’actualité ne fait que le rappeler, ces enjeux que l’on a pu qualifier de nord-sud, c’est au cœur même de l’Europe qu’ils existent, avec une brutalité qui ne prête guère à sourire. On se prend alors à espérer que la fiction ironique puisse devenir réalité politique et que l’insistance tranquille mais incisive de ceux qu’on oublie toujours puisse transformer les choses. Surtout celles dont on ne cesse de nous dire qu’elles ne peuvent pas être autrement car ce serait pure bêtise et inconscience, pure folie… Mais folie pour qui ?…

Un court récit, aussi plaisant à lire que stimulant et revigorant et qui apporte sa propre couleur à cette formidable petite collection, fictions d’Europe, que la Contre allée a inaugurée avec ce titre, ainsi queBerlin, Bucarest-Budapest : Budapest-Bucarest, du portugais Gonçalo M. Tavares, et Terre de colère, du grec Christos Chryssopoulos. Nous attendons les prochains titres avec impatience et délectation !…

 

Marc Ossorguine

 


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A propos de l'écrivain

Arno Bertina

 

Né en 1975, Arno Bertina est l'auteur de deux romans aux éditions Actes Sud,Le dehors ou la migration des truites (2006) et Appogio (2003), d’un récit paru sous le pseudonyme de Pietro di Vaglio La déconfite gigantale du sérieux(Lignes, 2004), d’une fiction biographique consacrée à Johnny Cash : J'ai appris à ne pas rire du démon (Naïve, 2006).
De lui les éditions Verticales ont publié un roman foisonnant, Anima motrix(2006), un court récit, Ma solitude s'appelle Brando (2009), et, en janvier 2012, Je suis une aventure, un roman picaresque dont un des protagonistes principaux est le tennisman "Rodgeur Fédérère". 
Passionné par les aventures collectives depuis son année à la Villa Médicis en 2004, où il a co-écrit la "farce archéologique" Anastylose (Fage, 2006), il a été de toutes les aventures de la revue Inculte - notamment les volumes 1 & 2 des Devenirs du roman (éditions Naïve en 2007, et Inculte en 2014) - et a écrit avec François Bégaudeau et Oliver Rohe l’essai Une année en France (Gallimard, 2007). Il a également écrit des romans dans les marges de travaux photographiques - notamment La borne SOS 77 (éditions Le bec en l’air, 2009) et Numéro d'écrou 362573 (Le bec en l'air, 2013). Il écrit en outre dans de nombreuses revues littéraires, et des fictions radiophoniques pour France-Culture - qu'il s'agisse de créations ou d'adaptations de chefs-d'oeuvre tels que Sous le volcan de Malcolm Lowry, et Les Démons de Dostoïevski (avec Oliver Rohe).

 

A propos du rédacteur

Marc Ossorguine

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature espagnole (et hispanophone, notamment Argentine) et catalane, littératures d'Europe centrale (surtout tchèque et hongroise), Suisse, littératures caraïbéennes, littératures scandinaves et parfois extrême orient (Japon, Corée, Chine) - en général les littératures non-francophone (avec exception pour la Suisse)

Genres et/ou formes : roman, poésie, théâtre, nouvelles, noir et polar... et les inclassables!

Maisons d'édition plus particulièrement suivies : La Contre Allée, Quidam, Métailié, Agone, L'Age d'homme, Zulma, Viviane Hamy - dans l'ensemble, très curieux du travail des "petits" éditeurs

 

Né la même année que la Ve République, et impliqué depuis plus de vingt ans dans le travail social et la formation, j'écris assez régulièrement pour des revues professionnelles mais je n'ai jamais renié mes passions premières, la musique (classique et jazz surtout) et les livres et la langue, les langues. Les livres envahissent ma maison chaque jour un peu plus et le monde entier y est bienvenu, que ce soit sous la forme de romans, de poésies, de théâtre, d'essais, de BD… traduits ou en V.O., en français, en anglais, en espagnol ou en catalan… Mon plaisir depuis quelques temps, est de les partager au travers de blogs et de groupes de lecture.

Blog : filsdelectures.fr