Débâcle, Ricardo Menéndez-Salmón
Débâcle (Derrumbe, 2008), avril 2015, traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, 192 pages, 21 €
Ecrivain(s): Ricardo Menéndez Salmón Edition: Editions Jacqueline Chambon
C’est un récit un peu étrange que nous propose Ricardo Menéndez-Salmón avec cette Débâcle, une manière de thriller dont la dimension polar est à la fois présente et effacée. Un récit qui n’est pas sans créer un certain malaise chez le lecteur qui suit les deux principaux narrateurs de ce roman noir de noir, un tueur en série particulièrement imprévisible, Mortenblau, et l’un des policiers qui enquête sur l’affaire, Manila, et qui pourrait aussi devenir une victime « collatérale ».
Le malaise vient sans doute de ce qu’il n’y a pas de logique, pas de projet ou d’obsession clairement appréhendable dans les actes du tueur, sa folie meurtrière n’obéit à aucune logique, si ce n’est celle d’une pulsion qui l’effraye lui-même, qui prend la forme d’un lion qui l’envahit et auquel il ne peut échapper. Dépourvu de stratégie, saisissant les opportunités, Mortenblau introduit dans la cité une irrationalité monstrueuse et impitoyable qui convoque la peur et la sacralise comme principe vital. Mais comme tout monstre, celui-ci est aussi humain, victime autant que bourreau et incarnation simple, brute et brutale du mal. Un mot aussi court qu’ancien, tapi au cœur de l’humain et de toutes nos sociétés.
Le récit échappe à la réduction à l’anecdote policière en la laissant délibérément de côté, se refusant à jouer des ficelles habituelles du suspense pour s’intéresser à ce qui se joue pour les différents protagonistes dans leur rapport à cette monstruosité qui se manifeste ouvertement, sans raison si ce n’est d’être, pleinement, radicalement, trouvant sa justification d’être et sa satisfaction à agir – toujours trop provisoire – en elle-même.
Face à Mortenblau, il y a Manila, un flic fatigué mais qui reste attaché au sens profond de son métier, une confrontation au mal. Manila et sa petite fille qui est tout, Manila et son épouse Vera, enceinte, qui s’éloigne irrésistiblement de lui.
Il y a aussi de l’anticipation dans ce roman, car nous sommes en un lieu urbain indéterminé, dans un futur qui pourrait hélas être assez proche, où le savoir passe par des parcs d’attractions thématiques qui organisent le rapport au monde de chacun. Des parcs qui sont devenus les lieux privilégiés du rapport au savoir et à la connaissance, réduits à des actes de consommation. Des lieux qui sont des symboles et des aimants, pour l’ordinaire comme pour le pire (pour le meilleur, l’auteur ne se prononce pas).
Une écriture qui peut dérouter par ses ellipses et qui se joue de nos attentes, somme toute bien conventionnelles et rassurantes, pour se placer et nous placer face à ce problème peut-être plus vieux que le monde, plus vieux que la littérature, celle de l’affrontement et de la confusion entre ce que l’on nomme « mal » et le reste (le bien, l’indifférence ou la peur).
Marc Ossorguine
Les éditions Jacqueline Chambon et Actes Sud ont publié une bonne part de l’œuvre de Ricardo Menéndez-Salmón : L’offense (La Ofensa, 2007), 2009 ; Le correcteur (El corector, 2009), 2011 ; La philosophie en hiver (La filosofía en invierno, 1999), 2011 ; La lumière est plus ancienne que l’amour(La luz es más antigua que el amor, 2010), 2012 ; Medusa (Medusa, 2012), 2013.
En Espagne on peut en plus trouver 4 autres romans : Panóptico, 2001 ; Los arrebatados, 2003 ; La noche feroz, 2006 ; Niños en el tiempo, 2014.
Autant de recueils de nouvelles : Los desposeídos, 1997 ; Los caballos azules, 2005 ; Gritar, 2007 ; Los caballos azules, 2009.
De la poésie et du théâtre : La soledad del grumete, 1998 ; Konstantino Kavafis vierte lágrimas arcádicas, 2001 ; Las apologías de Sócrates, 1999
Outre le français, ses œuvres sont traduites en catalan, italien, portugais, néerlandais, allemand ou turc.
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