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Correspondance 1968-1978, Pierre Pachet, Georges Perros (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera 15.01.24 dans La Une Livres, Les Livres, Correspondance

Correspondance 1968-1978, Pierre Pachet, Georges Perros, Editions Le Bruit du temps, août 2023, 224 pages, 24 €

Correspondance 1968-1978, Pierre Pachet, Georges Perros (par Gilles Cervera)

 

Deux géants minuscules Perros/Pachet

Entrer dans une correspondance tient de l’impudeur magnifique ! Quel étrange plaisir quand les épistoliers sont deux auteurs tant lus et relus, tant aimés, allez, déclarons notre flamme. Tant aimé Georges Perros, tant regretté Pierre Pachet.

Lire leurs courriers, c’est entrer dans leurs fabriques, leurs inquiétudes, voire aller jusqu’à la pointe de l’aiguille de leurs solitudes extrêmes. Soudain les abris intimes s’ouvrent un peu, à l’entrebail de soi et de l’autre.

PP à GP : Ma lettre est pleine de tout ce que je n’ai pas écrit. Je reste muet devant le papier, à rejeter des phrases.

Lire les deux nous relie à deux écrivains du silence, de la disparition, de la vie contrebandée. L’un et l’autre ouvrent à cette immense fatigue de soi, où les autres sont essentiels, moins les lecteurs si importants que le rare et tacite contrat littéraire qui les lie au silence.

Perros est un grand lettrier. On a lu sa correspondance avec Grenier, Gaspar, Butor, Paulhan, ou Brice Parain, notamment. Nous sommes toujours heureux de vérifier que les auteurs tant appréciés apprécient les auteurs tant appréciés. Sécrétion d’une sorte de famille secrète, la plus douce, entre le deuxième degré et l’infini, sur cet anneau indispensable des sentimots.

PP à GP : Attendre, l’oreille dressée, l’œil vide, les pieds froids : est-ce que vraiment ça remplit une existence ? (La plupart du temps que je dis que je travaille, j’attends).

J’attends quoi ? (à part le courrier).

Il est souvent question dans ces lettres écrites au jour le jour de la vie de famille. Ses boucans d’enfants, ses odeurs de frichti (ou de frigo vide pour ce qu’il en est du douarneniste), ses rassurances d’épouse (l’eczéma y compris), ses crispations par moments, et le reste à vivre, la littérature.

GP à PP : Oui, c’est le printemps. Les arbres se sont alourdis en une bouchée de nuit. Dommage. C’est toujours loupé. Les voilà repartis pour mourir à nouveau. Pas d’entracte.

Lettre de printemps ! En 1971, puisque les lettres s’étageront de 68 à 78 quand Perros se taira définitivement, lui qui parlait si bas.

Ils lisent et se le disent. Ils se lisent aussi et c’est toujours beau de trouver le commentaire de l’un sur l’autre, davantage Pachet sur Perros que l’inverse. Ce sont des écrivains rares, du peu. Ils ne cherchent la lumière que parce qu’il n’y en a pas. Peu de livres édités et s’ils le sont, qui les lit à part peu ? Quelques-uns qui se sentent presque en trop, éléphants dans librairie de poupée et en porcelaine de surcroît ! Perros tient ses Papiers collés et si peu s’y collent. Il le sait. Il ne le veut peut-être pas. Un lectorat rare l’assure au final qu’il est si seul et tellement singulier. C’est au bistro qu’il y a les hommes et cela dit d’eux, dont ils évoquent les zincs, cette liquidité des paroles qui disent le vol – ce qui ne s’écrit pas.

Perros écrit moins que Pachet. C’est le contraire dans la correspondance avec Jean Grenier où c’est Perros le demandeur, le jeune en quête. Rôle ici tenu par Pierre Pachet de quinze ans son cadet.

GP à PP : Les navettes à Brest et Quimper (il y donne des cours d’ignorance !) me crèvent. Il est vrai qu’il me faut peu de chose pour être déréglé. Je ne me sens supportable qu’entre mes quatre murs, où je fume de partout, le cul sur mon poêle à pétrole, car on ne se prive de rien. Je fais même un peu de moto, l’essence, ici, précédant l’existence.

Pachet est donc plus jeune, il se cherche. Comment l’écriture ne serait-elle pas une recherche permanente et les lettres des essais, des ajustements, des tâtonnements à ciel ouvert, des buttes témoins de l’êtricure en train d’éclore. Le cachet de la poste faisant foi, ce qu’on verra de moins en moins entre mails et réseautages, y sommes-nous condamnés ?

PP à GP : Ce dernier dimanche …/… nous recevions dans un charivari de gosses déchaînés, Pascal Lainé et sa femme. Le lendemain serait décerné le Médicis, sur lequel il comptait assez, « pour devenir un vrai écrivain ». Il l’a eu, donc. En tout cas, je l’envie d’avoir su écrire un livre si éminemment lisible. Je ne suis pas ravi de ne pouvoir écrire que pour… les chiens.

Mais à qui donc s’écrivent les vivants ? C’est qu’il y a toujours un mort entre eux, à côté, en eux. Le témoin. C’est à lui qu’ils parlent en s’adressant à l’autre. C’est Perros et son frère jamais né, ou Pachet cette histoire qu’il nous dira et rejoint la plus grande, celle des juifs exterminés. Écriture minée d’écrivains majeurs qui se trouvent sans importance, à l’aune des milliards d’êtres qui n’ont pas eu d’yeux pour lire ni même respirer.

Perros est ce correspondant de la fin de sa vie de laryngectomisé.

GP à PP : Il y a là (à l’hôpital) un vieux piano dont j’use les jours « fériés ». On me fout la paix. J’ai l’impression qu’on va me la foutre de plus en plus. Le rêve. Point trop n’en faut !

Pachet espère un courrier. Perros est laconique. L’un et l’autre savent que ça se termine mal : la littérature est rature.

GP à PP : Tout ça ne porte à aucune conséquence, puisque nous sommes des êtres libres, après preuves du contraire.

L’un et l’autre sont des écrivains de mi-voix. Leur correspondance est symphonique, drôle, laconique, diablement décalée !

PP à GP : J’ai déjà recommencé 4 fois cette lettre, ce que je ne fais jamais d’ordinaire – parce que les lettres que j’aime sont des espèces de poussées d’écriture comme de fièvre (ainsi sont vos lettres, envols d’oiseaux) …/… Ce qui est en jeu dans une lettre amicale n’est pas sur le même plan que la littérature ; ça se joue plutôt autour de l’enveloppe, du timbre, du « je descends poster le courrier », du moment sérieux-futile où l’on écrit les lettres, c’est autour de « la vie privée » dans son secret, dans son absence à elle-même, que ça se décide et s’accepte.

Oiseaux envolés.

 

Gilles Cervera

 

Expo à Douarnenez jusqu'au 6 janvier des petits formats, à l'encre ou à la gouache de Georges Perros à la Médiathèque Georges Perros.



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A propos du rédacteur

Gilles Cervera

 

Gilles Cervera vit entre Bretagne et Languedoc.

Instituteur, psychanalyste, auteur entre autres de

L’enfant du monde et Deux frères aux éd Vagamundo à Pont Aven.