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Contes de la rue Broca, Pierre Gripari (par Olivier Verdun)

Ecrit par Olivier Verdun 29.09.22 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Jeunesse, Grasset

Contes de la rue Broca, Pierre Gripari, ill. Claude Lapointe, 25 €

Ecrivain(s): Pierre Gripari Edition: Grasset

Contes de la rue Broca, Pierre Gripari (par Olivier Verdun)


Les Contes de la rue Broca, qu'ont réédité pour notre plus grand bonheur les Éditions Grasset-Jeunesse et qui sont superbement illustrés par Claude Lapointe, est sans conteste l’œuvre la plus célèbre du truculent Pierre Gripari. Traduite dans le monde entier, elle paraît pour la première fois en 1967 aux Éditions de la Table Ronde et passe étrangement inaperçue à cette époque. En 1982, quatre de ces contes sont adaptés pour la télévision par Patrick Le Gall et Alain Nahum.

Il s’agit d’une anthologie de treize histoires (La sorcière de la rue Mouffetard, La Fée du robinet, La patate est une star, L’idiot deviendra une star…) guidée par l’humour facétieux, la fantaisie, le sens du rythme, la magie des mots. Chaque récit a pour toile de fond la rue Broca qui est située dans le cinquième arrondissement de Paris, près des Gobelins, mais qui, note l’auteur dans la préface, n’est pas une rue comme les autres : « Tel l’univers d’Einstein, Paris, en cet endroit, présente une courbure, et passe, pour ainsi dire, au-dessus de lui-même […] la rue Broca, comme la rue Pascal, est une dépression, une rainure, une plongée dans le sub-espace à trois dimensions ».

Courbe donc, étroite, tortueuse, encaissée, souterraine en plein air, la rue Broca constitue, à elle seule, comme un petit village peuplé de gens d’origines très diverses qui se connaissent tous et qui ont en commun d’aimer les histoires.

Au numéro 69 se trouve l’épicerie-buvette de Papa Saïd, un kabyle marié à une Bretonne. Les enfants aiment à jouer dans la boutique et y guettent impatiemment les visites de monsieur Pierre, un fidèle client, grand connaisseur d’histoires tout aussi drôles et fantasques les unes que les autres. Mais il faut rendre à César ce qui appartient à César ! Les histoires que contient le présent recueil ne sont pas de monsieur Pierre tout seul : « elles ont été improvisées par lui, avec la collaboration de son public, et ceux qui n’ont jamais créé dans ces conditions imagineront difficilement tout ce que les enfants peuvent apporter d’idées concrètes, de trouvailles poétiques et même de situations dramatiques, d’une audace quelquefois surprenante ».

De page en page, le lecteur déambule dans un véritable cabinet des curiosités où se croisent tour à tour : une sorcière qui, pour devenir jeune et jolie, doit manger une petite fille à la sauce tomate ; un géant aux chaussettes rouges ; des chaussures amoureuses l’une de l’autre ; une patate dévorée d’ambition qui rêve de devenir une frite ; une fée du robinet ; un diablotin trop gentil et, last but not least, chose encore plus incroyable, une femme de bon conseil tout droit sortie d’un assortiment de contes russes.

Un régal pour les yeux, en somme, qui honore la littérature enfantine et qui rappelle à ceux qui n’en seraient pas encore convaincus qu’elle n’est pas du tout un genre mineur. Il ne reste plus qu’à aller faire un tour dans la rue Broca afin d’y rencontrer tous ces personnages extraordinaires. Avec un peu de chance, le fantôme de Pierre Gripari doit bien encore hanter le numéro 69, en tout bien tout honneur bien sûr…


Olivier Verdun


On ne présente plus Pierre Gripari. Écrivain, journaliste, critique théâtral, Pierre Gripari est né à Paris en 1925, d’une mère française et d’un père grec, et meurt dans cette même ville en 1990. Après des études de lettres au Lycée Louis-le-Grand, il exerce quantité de petits métiers – clerc de notaire, pianiste, employé de la Mobil Oil, bibliothécaire au CNRS –, avant de vivre entièrement de sa plume. En 1962, il publie une pièce de théâtre, Lieutenant Tenant, puis un récit autobiographique, Pierrot la luneGénial touche-à-tout, Pierre Gripari est surtout connu du grand public comme écrivain pour enfants. Il reçoit en 1976 le Prix Voltaire pour l’ensemble de son œuvre. En 1988, il obtient le Prix de la Nouvelle de l’Académie Française pour Contes cuistres (Éditions L’Âge d’Homme).


Né en 1938, Claude Lapointe est le fondateur de l’atelier d’illustration de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg. Il a collaboré à la revue Okapi et illustré pour Gallimard, dans la Collection Folio Junior, les premiers romans pour la jeunesse. On lui doit notamment l’illustration de Sa Majesté des mouches de William Golding, Grabuge et l’indomptable Amélie d’Elvire de Brissac, Un point c’est tout d’Hubert Nyssen (Actes Sud Junior), Le Talisman de Vannina de Bertrand Solet (Bayard).


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A propos de l'écrivain

Pierre Gripari

Pierre Gripari, est né à Paris le 7 janvier 1925, d’une mère coiffeuse et médium, parisienne originaire de Rouen, et d’un père ingénieur d’origine grecque, et il est mort dans cette même ville le 23 décembre 1990. Ses deux parents meurent pendant la Seconde Guerre mondiale. Il doit alors abandonner ses études littéraires pour exercer divers petits métiers : commis agricole, clerc expéditionnaire chez un notaire et même, à l’occasion, pianiste dans des bals de campagne. Il s’engage ensuite, de 1946 à 1949, comme volontaire dans les troupes aéroportées. De 1950 à 1957, il est employé de la Mobil Oil, et exerce à cette occasion les fonctions de délégué syndical CGT. Il arrête ensuite de travailler pour écrire. Ne parvenant pas à faire publier ses œuvres, il trouve une place de garçon de bibliothèque au CNRS. Il se fait connaître en 1962 avec une pièce de théâtre, Lieutenant Tenant, créé à la Gaîté-Montparnasse, puis avec un récit autobiographique, Pierrot la lune, publié aux éditions de la Table ronde en 1963. Sa carrière d’auteur commence alors vraiment. Ses œuvres littéraires suivantes ne rencontrent cependant pas le succès. Ayant quitté le CNRS pour vivre de sa plume, Gripari connaît la pauvreté. Refusé successivement par dix-sept éditeurs, il retrouve finalement une maison d’édition en 1974 grâce à Vladimir Dimitrijević, le patron des éditions L’Âge d’Homme (un auditeur qui aime lire disait-il), qui lui accorde une liberté d’auteur totale en acceptant systématiquement tous ses livres. Gripari a exploré à peu près tous les genres. Excellent connaisseur des patrimoines littéraires nationaux, il sait aussi mettre à profit les mythes et le folklore populaire, sans dédaigner les récits fantastiques et la science-fiction. Il est ainsi parvenu à créer tout un univers. « Les seules histoires qui m’intéressent, écrit-il dans L’arrière-monde, sont celles dont je suis sûr, dès le début, qu’elles ne sont jamais arrivées, qu’elles n’arriveront jamais, qu’elles ne peuvent arriver ». On lui doit aussi bien des romans que des nouvelles, des poèmes, des récits, des contes, des pièces de théâtre et des critiques littéraires. Mais Pierre Gripari est surtout connu du grand public comme un écrivain pour enfants. Son œuvre la plus célèbre, les Contes de la rue Broca, paraît en 1967. Elle est composée d’un ensemble d’histoires mettant en scène le merveilleux dans le cadre familier d’un quartier de Paris à l’époque contemporaine ; certains de ses personnages sont des enfants d’immigrés. À la fin des années 1970, les illustrateurs Fernando Puig Rosado et Claude Lapointe contribuent à populariser ces contes. Les premières éditions des Contes de la rue Broca (chez la Table Ronde) passent inaperçues, mais leur réédition par Gallimard apporte succès et célébrité à Gripari. Ce recueil est traduit dans le monde entier, y compris en Allemagne, au Brésil, en Bulgarie, en Grèce, en Hongrie, en Italie, au Japon, en Pologne et en Thaïlande. Pierre Gripari a également été critique théâtral pour le journal Écrits de Paris. Il reçut en 1976 le Prix Voltaire pour l’ensemble de son œuvre. On retrouve nombre d’éléments biographiques dans un livre d’entretiens avec Alain Paucard réalisés en 1984, Gripari mode d’emploi. En 1988, il obtient le Prix de l’Académie française pour Contes cuistres. Cet iconoclaste détestait les fanatiques et les gens sérieux et se définissait lui-même comme « un Martien observant le monde des hommes avec une curiosité amusée, étranger au monde terrestre ». Entre rue Broca et rue de la Folie-Méricourt, et quoiqu’il soit aussi épicurien, il mène une vie de bohème quasiment monacale. Indifférent à toute ambition matérielle, il s’accommode de la pauvreté pour ne jamais tomber dans la compromission. Pierre Gripari était membre de la Mensa. Communiste de tendance stalinienne de 1950 à 1956, il se rapproche ensuite des milieux d’extrême-droite (il sera ainsi membre d’Europe-Action). Néanmoins, son absence ultérieure d’engagement politique ferme manifeste son désintérêt profond de la politique active, bien qu’il participe au comité de parrainage du journal d’extrême-droite Militant au cours des années 1980. Il s’intéresse aux religions pour en pointer le folklore, souvent sous forme de pastiche. Cet anarchiste de droite a ensuite participé à l’association culturelle européenne du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE). Le Dictionnaire des écrivains de langue française (Larousse, 2001) le qualifie d’« écrivain ironique, qui se tient à l’écart » et commente « Quant à ses prises de position “fascistes”, il faut y voir le goût de la provocation chez un homme à qui répugnaient la bonne conscience et les idées reçues, fussent-elles “démocratiques” ».

L’œuvre littéraire de Pierre Gripari est marquée par l’érudition, la citation et l’exercice de style. Il s’essaie en effet à des genres divers et variés : roman épistolaire (Frère gaucher ou Le Voyage en Chine), roman de chevalerie (Le Conte de Paris), science-fiction (Vies parallèles de Roman Branchu), etc. Figurent parmi les thèmes récurrents de ses ouvrages l’histoire du XXe siècle, le refus des prétentions totalitaires, l’Europe comme patrie spirituelle, l’homosexualité et la critique des religions monothéistes, notamment la religion juive, qu’il jugeait totalitaire et raciste. De fait, certains comme Pierre-André Taguieff, qui le qualifie d’« anarchiste d’extrême-droite » et lui attribue une « filiation célinienne » considèrent cet antijudaïsme comme antisémite. Symétriquement d’autres, comme son éditeur Vladimir Dimitrijević, contestent qu’il ait été antisémite et considèrent ses attaques contre le judaïsme, présentes dans certains de ses articles de presse et romans, comme une critique respectable de la religion juive. Gripari traite l’homosexualité, qu’il vit sans complexes, sur un ton à la fois ironique et tragique, sa conception des choses de l’amour constituant le soubassement de sa vision pessimiste de l’existence.

 

Publications :

1957 : Pierrot la Lune, roman, Éditions La Table Ronde

1962 : Lieutenant tenant

1964 : L’Incroyable Équipée de Phosphore Noloc racontée par un témoin oculaire avec quelques détails nouveaux sur les gouvernements des îles de Budu et de Pédonisse, roman, Éditions La Table Ronde

1965 : Diable, Dieu et autres contes de menterie, nouvelles, Éditions La Table Ronde

1967 : Contes de la rue Broca, contes, Éditions La Table Ronde

1968 : La vie, la mort et la résurrection de Socrate-Marie Gripotard, roman, Éditions La Table Ronde

1972 : L’Arrière-monde et autres diableries, nouvelles, Éditions Robert Morel

1973 : Gueule d’Aminche, roman, Éditions Robert Morel éd

1975 : Frère Gaucher ou le voyage en Chine, roman, Éditions L’Âge d’Homme. Le Solilesse, poèmes, Éditions L’Âge d’Homme

1976 : Rêveries d’un martien en exil, nouvelles, L’Âge d’Homme. Histoire du Prince Pipo, de Pipo le cheval et de la Princesse Popi, roman pour enfants, Éditions Grasset-Jeunesse

1977 : Pièces enfantines, Éditions L’Âge d’Homme. Pedigree du vampire, anthologie, Bibliothèque fantastique, Éditions L’Âge d’Homme

1978 : Les Vies parallèles de Roman Branchu, roman, Éditions L’Âge d’Homme. Nanasse et Gigantet, conte en forme d’échelle, Éditions Grasset-Jeunesse, illustrations de Jean-Luc Allart. Pirlipipi, deux sirops, une sorcière, Éditions Grasset-Jeunesse, illustrations de Claude Lapointe (repris dans les Contes de la Folie-Méricourt en 1983).

1979 : Café-théâtre, Éditions L’Âge d’Homme

1980 : Le Conte de Paris, roman, Éditions L’Âge d’Homme. L’Évangile du rien, anthologie, L’Age d’Homme.

1981 : Paraboles et fariboles, nouvelles, Éditions L’Âge d’Homme. L’Enfer de poche, poèmes libertins, Éditions L’Âge d’Homme. Critique et autocritique, recueil d’articles, Éditions L’Âge d’Homme.

1982 : Moi, Mitounet-Joli, roman, Éditions Julliard/L’Âge d’Homme. Les Chants du Nomade, poèmes, Coll. Le Bruit du Temps, Éditions L’Âge d’Homme. Pièces mystiques, Éditions L’Âge d’Homme. Pièces poétiques, Éditions L’Âge d’Homme.

1983 : Reflets et réflexes, essai, Éditions L’Âge d’Homme.

1983 : Les contes de la Folie Méricourt, contes, Éditions Grasset-Jeunesse, illustré par Claude Lapointe.

1984 : Rose Londres, Histoire de Prose, roman, Coll. Le Manteau, Éditions Julliard/L’Âge d’Homme. Du rire et de l’horreur, anatomie de la « bien bonne », anthologie, Éditions Julliard/L’Âge d’Homme.

1985 : La Rose réaliste, nouvelles, Coll. Contemporains, Éditions L’Âge d’Homme. Jean-Yves à qui rien n’arrive, roman pour enfants, Éditions Grasset-Jeunesse, illustrations de Claude Lapointe. Adaptations théâtrales, Éditions L’Âge d’Homme. Gripari, mode d’emploi, Entretiens d’Alain Paucard avec Pierre Gripari, enregistrés les 25 juin, 28 juin et 5 juillet 1984, Pierre Gripari se chargeant de la rédaction définitive, Éditions L’Âge d’Homme, coll. Le Bruit du Temps.

1986 : Le Canon, roman, Éditions L’Âge d’Homme. Le Septième Lot, roman, Julliard/L’Âge d’Homme. Nouvelles Pièces enfantines, Éditions L’Âge d’Homme.

1987 : Contes cuistres, nouvelles, Éditions L’Âge d’Homme. Nouvelles critiques, recueil d’articles, L’Age d’Homme.

1988 : Histoire du Méchant Dieu, essai, Éditions L’Âge d’Homme. Sept farces pour écoliers, Éditions Grasset-Jeunesse, illustrations de Boiry.

1989 : Notes d’une hirondelle, recueil de chroniques théâtrales, Éditions L’Âge d’Homme. Huit farces pour collégiens, Éditions Grasset-Jeunesse, illustrations de Boiry.

1990 : Contes d’ailleurs et d’autre part, contes, coll. Grands lecteurs, Éditions Grasset-Jeunesse. Les derniers jours de l’Éternel, roman, L’Age d’Homme. Le Musée des apocryphes, nouvelles, Éditions L’Âge d’Homme. L’Affaire du petit pot de beurre, in Contes de la Table ronde, plaquette hors-commerce, Éditions La Table ronde.

1991 : Monoméron, ou je ne sais quantième consultation du Docteur Noir sur la vraie religion du peuple français, roman, Coll. Le Bruit du Temps, Éditions L’Âge d’Homme.

1992 : Énigmes, devinettes pour les enfants, illustrées par Puig Rosado, Éditions Grasset-Jeunesse. Je suis un rêve et autres contes exemplaires, Éd. de Fallois/L’Age d’Homme, anthologie des nouvelles de Pierre Gripari établie par Jean-Pierre Rudin, préface de Jean Dutourd.

1995 : Fables et confidences, fables, Coll. Le Bruit du Temps, l’Age d’Homme.

1996 : Le Devoir de blasphème, éd. du Labyrinthe

 

Entretiens et critiques parus dans la revue Éléments.

 

A propos du rédacteur

Olivier Verdun

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Olivier Verdun est un philosophe, essayiste et poète français.