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Clouer l’Ouest, Séverine Chevalier

Ecrit par Martine L. Petauton 03.11.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Editions Ecorce

Clouer l’Ouest, juin 2014, 180 pages, 10 €

Ecrivain(s): Séverine Chevalier Edition: Editions Ecorce

Clouer l’Ouest, Séverine Chevalier

 

 

Ne pas passer à côté de ce livre. Voilà, c’est dit !

D’urgence, ouvrir ce petit opuscule dont la couverture moirée hésite entre un rien de forêt du Soulages juste avant l’Outre Noir, et un reflet presque aristocratique d’un métal ancien. Puis, se jeter, au rythme d’une émotion littéraire vraiment neuve, dans ce voyage au fond du Limousin noir et des états d’âme de l’homme depuis la nuit des temps…

 

« Il faut bien que les choses se soient passées d’une certaine façon. Longtemps, je ne me préoccupais pas de la scène blanche… »

Retour vers l’enfance – ce qu’il peut en rester – d’un Karl, ayant bourlingué – médiocrement –, perdu des fortunes au jeu, raté ses amours, et éventé sa propre trace sous « les deux soleils au-dessus de Limoges ». Il revient sur « le » Plateau ; celui des solitudes, à deux tours de vieilles roues d’Eymoutiers. « La maison matrice à un seul œil ; la fenêtre luisante ». A sa main – son seul bagage – la gamine de sa compagne enfuie – Angèle, qui regarde partout, mais n’a jamais parlé. Romantisme des retours de tous les refoulés, arrivé à mi-vie ? Balade à la Georges Sand, au bord des bruyères ? Nostalgies mélangées ? Vous n’y êtes pas. Le gars s’encadre pour taper son vieux père et rembourser ses dettes. Banal. Peut-être du suspense au bout ; et, pourquoi pas, un meurtre bien saignant ? C’est en effet ce qu’on lirait dans n’importe quel bouquin acheté sur le tourniquet, juste avant de prendre le train à la Gare des Bénédictins – même pas un soir de neige.

Pas dans ce livre là.

L’écriture donne à voir les hameaux et les fermes isolées – du 2 habitants/km carré – donne à sentir le froid qui précède – ou suit – la neige, fait entendre le crissement des pas dans le chemin « qui sent l’humus, une odeur d’automne pourrissante et tiède » et le cri des oiseaux de nuit. L’écriture – remarquablement aboutie ; un genre à elle seule – ouvre Millevaches et l’Homme, d’un seul coup de volet branlant. On avance, pas tranquille du tout ; préoccupé. Quelque chose d’un poignant bien loin de Lamartine. On suit d’arbre en arbre, ce Karl et sa mémoire, bien autant que sa vie.

Une page sur trois débute par « un jour », et c’est l’enfance. Le conflit constant avec le frère, le regard dur – enfin, on croit – du Doc, le père, qui, un jour, a posé sa trousse médicale dans ces tréfonds du monde ; la mère, qui a choisi de s’évader dans ses absences, la grand-mère aimée, qui meurt pendant ces jours de retour, et dont le cercueil glisse sur la neige englacée.

Ça chasse dans ces hauts pays, et la bête tuée, dépecée, fait partie des rites initiatiques qui « font » les hommes : « il aurait fallu être un homme, mon fils, et Karl regardait la botte du père… c’est à ce moment-là, que la trouille se faisait la plus forte… qu’on avait écarté les chiens qui se pressaient, avides… qu’il ne pouvait s’empêcher de fixer ses yeux d’enfant sur le pied du père, qui, de longues secondes, caressait le pelage et appuyait plus fort sur la chair morte… »

Le retour de ce curieux fils pas vraiment prodigue, habite, silencieux, ces pages en noir mâtiné de ce gris blanc des neiges d’ici – rien à voir, avec les monceaux gais, claironnants, solaires, de celles des vraies montagnes, là-bas Alpes ou Pyrénées : « le vent est glacial… la neige, tantôt molle, tantôt dure». Dans Clouer l’Ouest, c’est presque toujours la nuit, le bord, quand on ne distingue plus grand-chose de net ; cet « entre chien et loup », qui décline la vie de Karl, aussi. Dessous ces pellicules gelées, de vieux restes de neige qui ne fondra jamais, derrière ces arbres, dans ce silence des origines, dans ces maisons qui sentent le renfermé – la mort, évidemment ; ça bouge, ça déterre, ça remue les « en soi » et, au final, ça fait un bruit d’enfer, comme claque un coup de fusil sous les sapinières…

En refermant ce livre ; en attendant le prochain de Séverine Chevalier, en le guettant déjà, passent des souvenirs : des bribes de Millet – le maître du plateau –, mais, aussi d’Hemingway, et bien sûr de Giono. De sacrés compagnons pour notre jeune auteure !

 

Martine L Petauton

 


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A propos de l'écrivain

Séverine Chevalier

 

Naissance à Lyon le 18 juin 1973.
Séverine Chevalier vit aujourd'hui à Marseille. Après avoir travaillé une dizaine d'années comme juriste dans des collectivités locales, elle décide d'arrêter un temps, pour réfléchir. Du coup, elle réfléchit toujours. Elle essaye d'écrire, d'abord des textes courts, puis un peu plus longs. « Recluses » fut son premier roman. Elle aime les mots et les images, observer et écouter les alentours, et bien sûr rêvasser et imaginer en regardant le ciel. Il lui arrive de penser que si les bouquins n'existaient pas, elle serait morte. Elle s'intéresse à ce qui est caché, détérioré, relégué, enfoui, inacceptable, tordu, cassé, honteux, inexistant. Arrière-cours, cagibis, caves, souterrains, cryptes spatiales ou mentales, c'est par là qu'elle farfouille, tant bien que mal.

 

A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)