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Clore (5), par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres 07.12.15 dans La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis

Clore (5), par Didier Ayres

 

Un peu plus tard, dans un couvent. C’est un dimanche. C’est le soir, le début de soirée. Quelques visiteurs, sont-ce les mêmes personnes qui dialoguaient à l’acte I ? On ne sait pas au juste le but de la réunion. Est-ce la fête de Saint Benoît ? On ne sait pas. Il ne faut pas exclure un peu d’ivresse. Il y a beaucoup de monde, et on peut même imaginer engager des figurants pour faire un peu de foule d’où sortiront les voix des personnages incriminés. Ce qui permet de penser que les personnages de l’acte I se sont trouvés à un moment ou un autre pris par les effets de la fête qui a lieu ici. Cependant, il ne faut pas oublier que nous sommes dans une abbaye et que le son des voix est alourdi, assourdi, feutré. Il y a peut-être aussi un groupe de touristes, lesquels viendraient pour un séminaire, un colloque, des rencontres professionnelles. Mais, c’est une supposition.

 

Français ?

Français.

Il est dit qu’une fois le fleuve franchi on a une belle vue sur le coteau. C’est pareil en Bourgogne, l’exposition des vignobles qui entraîne une lecture des paysages.

Vous avez gardé cette montre ?

Oui, par sentimentalisme.

Par faiblesse ?

Par superstition.

Un gris-gris ?

Une forme de reconnaissance d’un monde sans matière. Un truc extra-sensoriel. Images. Mots. Bruits. Musiques.

Les arts et métiers ?

Pour une assemblée ?

C’est calme ici. Même avec tout ce monde.

Bourg-en-Bresse ?

Oui. Pourquoi ?

Le colloque des chirurgiens dentistes ?

Non. Juste un peu de famille dans la médecine.

C’est une amie d’origine juive.

Elle pratique.

En fait, je ne sais pas. Parce que j’ai perdu sa trace à la sortie de la faculté, et je ne sais plus par quel hasard on s’est revu, peut-être le même médecin quand je soignais mon hépatite, ou un visiteur de laboratoire. Des obligations. Même sans doute un peu de politique. À gauche ? À gauche. En tous cas, une libérale.

La banque ?

Un congrès ?

C’est presque comique en un sens. Je n’ai rien, mais vraiment rien du tout. Et ils croient que je suis habillé en Pierre Cardin et que je me parfume avec du Vétiver. En fait, j’ai pas de travail. Je récupère des frusques aux ventes de charité, et cette très bonne eau de toilette à la lavande, je l’ai trouvée chez un antiquaire, qui ne pouvait pas la vendre. Il m’a donné un échantillon d’Habit Rouge et cette eau de Cologne. J’ai l’esprit zen. Je ne culpabilise pas. Ils veulent que je mette sur pied un dossier de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, une RQTH, eh bien, j’ai pas peur. Je ne sombre pas. Si tu veux je ne produis pas, je suis inerte pour la société, mais je ne me sens pas coupable.

Un bouddhisme new-age ?

Il y a une noblesse dans la pauvreté, non ?

Et tu as été à l’école doctorale ?

Allegro. Allegro con brio. Scherzo. Andante. Allegro molte vivace.

J’ai jugulé toute anxiété. Parce que pauvre, on angoisse plus. J’ai traîné en Outre-mer. J’ai fait un peu d’armée. J’ai suivi une sorte de gourou épiscopalien. J’ai fait des choses terribles. Puis, j’ai tout lâché. Je domine mes pensées.

Politiquement ?

Angoissé.

Anarchiste ?

Sans patrie. Apatride.

Politiquement ?

Dans quel but ? Asservir les peuples ? Un truc individuel. Personnel. Propre. Juste une révolution en soi-même, et le reste cela n’a pas d’importance.

Anarchie ?

Comme sur le disques des Pistols ?

Un no future New Age ?

C’est bon ce petit vin.

Le petit Rosé de l’abbaye, bien frais, bien sec.

Ce sont des congressistes ?

Son suicide. On ne sait pas. Une gloire à vingt-cinq ans, puis quinze années d’anonymat étrange, des manuscrits, et puis, rien. Un corps. Là. Deux jours. Sans vie.

Anarchiste chrétien ?

Je m’y perds. Juste un peu de bouddhisme tibétain.

Tu connais toute cette littérature critique ?

Des critiquarts, des bluffeurs !!

Servez un peu de vin, voulez-vous ?

Il parle le syriaque ?

Il traduit Saint Ephrem le Syrien.

Il a des connaissances assez sérieuses. Du latin d’église. Des bases solides de grec. Il a même passé une agrégation avant de faire le moine. C’est un garçon sérieux, mais avec un caractère épouvantable, presque intolérant.

Tu l’aimes ?

Oui, beaucoup.

Je ne sais pas. Je le connais simplement parce qu’il dirige un théâtre à Carcassonne et qu’il est connu pour le festival qu’il organise à Lugano. Il m’envoie une espèce de brochure, une sorte de revue d’esthétique qui plaît beaucoup, paraît-il. Il réfléchit sur le lieu théâtral, et il donne des conférences à la BNF. Tu vois, c’est une des joies de la province : la proximité.

Tu vas à Bayreuth ?

Non. Pourquoi ?

Moi, je serai morte sans connaître.

C’est si important ?

Que dis-tu ?

Évidemment.

Tout le monde rêve de voir l’ensemble de la Tétralogie.

Moi, tu sais, j’aime pas le nord, l’esprit nordique et ses brumes à la Caspar Friedrich.

Il faut faire vite. Prenez. Je vous amène des biscuits, cela va bien avec le vin chaud.

C’est alcoolisé ?

Frère François, allez voir cette dame.

Style télégraphique : toi voir lui, lui voir elle.

Elle est totalement euphorique. Le vin ? Je ne sais pas. Une nature de personne.

C’est la forêt.

La forêt ?

Oui, l’air de la Sologne et ses odeurs de feuilles putréfiées.

Alors, vous êtes contre l’exploitation des gaz de schiste.

Le monde est ainsi. Voyez-vous, la nef des fous, on se précipite tous vers un objet inconnu et chimérique et on se laisse aller par les flots à tout hasard, « hasardeusement », sans vraie idée.

Oh, des noctuelles !

Et l’hébergement est compris ?

Oui, une nuit d’hôte à l’abbaye avec une tasse de café et de la brioche à cinq heures.

1970 !

Non.

1976 ?

Non.

1978 ?

Non.

1979 ?

À peu près. Le 21 mars.

Je croyais que tu étais de 72 ? Poisson ? Bélier ?

Vous allez aux vêpres ?

Il y a le before et l’after !

Ceux qui en sont, et ceux qui n’en sont pas.

Sa voix ? C’est incroyable ? Cette beauté.

J’ai pensé militer avec les anarchistes chrétiens, mais il faut être plus individualiste qu’eux, et ce n’est pas mon caractère, ce n’est pas ma personne.

Il est toujours aussi silencieux ?

Je n’ai pas le temps. Non. Non. Non.

Frère ?

Oui ?

Voyez s’ils ont besoin de quelque chose. Offrez-leur la brioche de Jean.

 

A suivre


Didier Ayres



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A propos du rédacteur

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.