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Montana, The Big Sky Country

Ecrit par Léon-Marc Levy le 24.04.18 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Montana, The Big Sky Country


C'est ainsi qu'on l'appelle, l'état du Montana, aux USA. Le Pays du vaste Ciel. Un superbe Blues slidé du regretté Chris Whitley a chanté ce « label ».


C'est sûrement Robert Redford qui a le plus contribué à faire connaître, dans le monde entier, cet état du Nord-Ouest des USA. D'abord en s'installant dans le pays. Et puis en mettant en scène, « Et au milieu coule une Rivière », en 1992. Film admirable, adaptation d'un roman plus beau encore de Norman McLean : « La Rivière du sixième jour » (1976, désormais intitulé comme le film).

Et pourtant, le Montana a une autre immense raison d'être un des plus illustres des états américains : c'est la « niche » de la plus grande densité d'écrivains par habitant de la planète. A un point tel que le "New York Times" il y a peu, l'a comparé au Montparnasse des années 1920. On parle de ces écrivains sous une appellation désormais célèbre : "Ecole du Montana".

Il est difficile de dater le début de cette saga littéraire. "La Rivière du Sixième Jour", déjà cité, de Norman McLean (alors qu'il avait soixante-quatorze ans), peut être considéré comme une des références initiales du courant. On y trouve tous les traits propres au roman du Montana. Il a certainement beaucoup contribué à jeter les jalons d'une lignée d'immenses écrivains qui, aujourd'hui encore, comptent parmi les plus prolixes et les plus originaux de la littérature mondiale. Redford dans son film, a « happé » tous les paradigmes du « style montanien » : ode à la nature, ode aux hommes (à leur force, à leur fragilité), vertige de la mémoire et du temps qui passe, représentation et sentiment panthéistes du monde.

S'il y a « école », il y a lien, style, manière, thématique communs. De quoi est faite la pâte (la patte ?) de « l'école du Montana » ? Rick Bass, l'un des plus célèbres d'entre eux, écrit : « Plutôt que d'école, parlons plutôt de mouvance, de tendance, de communion d'esprit. Aucun écrivain n'aime être catalogué. C'est une invention de journaliste. » Et pourtant, il n'y a aucun doute pour le lecteur : il y a bien un style montanien, immédiatement reconnaissable. « Such stuff as dreams are made on » dirait le grand John Huston (à la suite de l’immense Will Shakespeare). « La matière dont les rêves sont pétris ».

Commençons par le début : le Montana lui-même. Tous, Rick Bass, Thomas Mc Guane, Richard Ford, Jim Harrison, Richard Hugo, Larry Watson, James Lee Burke, sont « sertis » dans l'écrin du Big Sky Country : ses paysages grandioses, sa nature intacte et presque légendaire (des ours pêchent à quelques dizaines de mètres de pêcheurs parfois sur la « Blackfoot River »), sa ruralité frustre et comme « originelle ». On découvre peu à peu, à la lecture des œuvres, une sorte de religiosité de la nature, comme une résurgence du « panthéisme » romantique à la Shelley. Le monde communie avec les personnages, en un opéra à la fois magique et évident. Rick Bass dit à ce sujet : "Nous ne posons pas la nature autour des personnages ou les personnages autour de la nature. Personnages et nature ne font qu'un."

Et le port d'attache de la troupe, c'est Missoula et son université littéraire de longue mémoire. Presque tous habitent autour de la ville et son campus. 50 000 habitants, 10 000 étudiants. Et les légendaires « ateliers d’écriture » dont la créativité a franchi les frontières du monde entier.

Autre lien incontournable. On l'a dit parfois, façon « Tontons flingueurs » : est-ce une « littérature d'hommes », trempée dans un machisme brut ? Chez Mc Guane, James Lee Burke, Harrison on a envie de dire oui. Des personnages de femmes y sont souvent pâles, superficiels, souvent ridicules. En tout cas « au service » des héros masculins. Mais, comme il se doit de toute affirmation, bien des figures de femmes viennent s'inscrire en faux : inoubliable Lily du « Mahatma Joe » de Rick Bass. Et encore la magnifique figure de Dalva du grand Jim.Plutôt que de machisme, parlons de « virilité » : les écrivains du Montana et leurs personnages sont des trappeurs, des chasseurs, des pêcheurs,  des cow-boys, des cavaliers émérites (Jim Harrison). Leurs passions ne font pas dans le « salon », d'où cette impression de littérature mâle. Ne pas s'y laisser prendre, les figures de femmes sont aussi des figures fortes, parfois plus fortes encore que les héros masculins, mais d'une autre façon, plus dans la volonté et le courage moral.

L'héritage indien est incontestable pour tous. On l'a deviné déjà avec ce qui précède : la communion homme/nature, le panthéisme, l'amour des grands espaces. James Welch, membre de la bande, est indien et de nombreux écrivains indiens se réclament de sa paternité littéraire.

Enfin, et c'est l'essentiel, la « chanson » du Montana. Tous ces romanciers, si différents en fait, ont en commun un murmure de la langue, une musicalité qui les fait reconnaître entre tous. Comment décrire la chose ? Je ne trouve pas mieux que des métaphores : dans « La Rivière du Sixième jour », Norman Mc Lean écrit : « Je suis hanté par les eaux ». On peut le dire de la langue de la littérature du Montana : elle chante comme une eau pure qui coule, comme les rocailles qui sont en-dessous, comme le « Big Sky » qui couvre le Grand Tout. C'est une langue populaire et brillante. Bien sûr, heureux ceux qui  peuvent la lire en V.O.. Mais, même traduite, on perçoit parfaitement l'enchantement de cette écriture, la poésie vitale de cette prose.

Et puis qu'importe « l'école ». Je veux vous dire, au creux de notre hiver « tempéré » (même si ces jours-ci…), qu'il y a quelque part aux USA un essaim sans cesse renouvelé de grands écrivains, brûlants de passion et de talent, qui nous donnent des œuvres qui prennent place parmi les plus grandes de notre époque. Ils sont les dignes fils de Jack London, de James Oliver Curwood, de Fenimore Cooper, de Mark Twain, Henry David Thoreau. Ils nous rendent à notre âme d'enfants en nous emportant dans un univers de montagnes et de fleuves, d'ours et de chiens, de courage et souffrance.

Patrick Raynal est allé voir, en 1989, pour un reportage pour Télérama, à quoi ressemblait Missoula. Il écrit : « Il existait bien au nord-ouest des Etats-Unis dans un Etat immense, peuplé de cow-boys, d'élans et de truites gigantesques, une ville bourrée d'écrivains, une sorte de Ploucville improbable où écrire des bouquins était aussi commun que de jouer du jazz à New-York. Avec cinquante écrivains en activité sur une population de quarante mille, Missoula est une ville (...) où l'on a plus de chance d'écraser les pieds d'un auteur que d'un représentant d'une quelconque catégorie socio-professionnelle. »

Je ne peux pas finir sans vous donner mon « best of ». C'est une mine d'or ! Allez, pas plus de cinq, mais on pourrait faire cinquante. « Et au milieu coule une rivière » Norman McLean, immense, fondateur. « Légendes d'Automne » Jim Harrison. « Platte River » Rick Bass. « La pêche à la truite en Amérique » Richard Brautigan. « Montana 1948 » Larry Watson.


Je regrette déjà de n'avoir cité que ceux-là.


Léon-Marc Levy


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A propos du rédacteur

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /