Ceux qui appartiennent au jour, Emma Doude Van Troostwijk (par Gilles Cervera)
Ceux qui appartiennent au jour, Emma Doude Van Troostwijk, éditions de Minuit, janvier 2024, 174 pages, 17 €
Edition: Les éditions de Minuit
Celle qui appartient au Livre
Lire Emma Doude Van Troostwijk s’impose. Son nom sera vite dans nos têtes et entre nos lèvres même si dur à articuler parce qu’issu d’une autre langue.
En l’éditant, les éditions de Minuit renouent avec un passé de bribes, de voix, une littérature des petites phrases, du souffle court qui court de roche en roche et de nuée en nuage. Où tout est clair.
C’est un premier roman, il s’intitule Ceux qui appartiennent au jour.
Pour plusieurs du roman, la nuit approche mais tant que la nuit n’est pas, le jour est leur appartenance. Là qu’ils dansent, là qu’ils se rassemblent, mangent (beaucoup de repas), dorment, surtout se réveillent : C’est l’heure des corn-flakes.
Un livre, une fresque, comme un tag dont les murs ont besoin pour fabriquer une ville.
Emma Doude Van Troostwijk a deux langues comme son nom l’indique. Le néerlandais et la langue française. Son livre donne à vivre ses deux voix, ses deux rives, et pourquoi de suite ne pas le dire, ses trois !
La troisième est hautement placée.
En prise divine, direction le ciel.
Ça t’arrive de te rappeler de souvenirs qui n’existent pas ?
Le spirituel fait partie intégrante de l’aventure d’une jeune auteure née en 1999. Elle traverse la nuée des croyances et noue le lecteur aux silences des prêches, aux allers-venues de presbytère, aux heures des offices, à l’initiation pastorale de Nicolaas, le frère. Voici donc un livre où une part d’histoire européenne est en train de se poursuivre.
Moderne !
Contemporaine. La langue de l’auteure est d’aujourd’hui, évidemment. Les réalités familiales sont d’aujourd’hui. Le burn-out brûle corps et biens le père. Alzheimer est un personnage important de l’histoire. Le grand-père a sombré, Madame vous devez partir dit-il à sa petite-fille.
Was iis dit ? C’est du verre ou de l’eau ? Je me promène avec Opa autour de l’étang.
Le père sombre. Il quitte la table où il perd au memory, jeu de sa terreur.
Je veux mourir. Les trois petits mots tombent des lèvres de mon père.
Emma Doude Van Troostwijk est à lire doucement même si le précipité des générations est un nouvel effroi. On n’a jamais vécu aussi longuement n’est-ce pas et à quel prix ? Celui de la religion et celui de la douceur intergénérationnelle. Du pardon, peut-être. Ce livre se lit doucement et à toute vitesse. Une ordalie hors d’haleine. Dans ces vies ordinaires que les maladies percutent, où les fraternités convergent et parfois s’agacent. Pomme, pommier, Eve, Adam, on refera donc toujours la même histoire, celle du roman !
On est voué.
Une entrée dans la littérature par la porte immémoriale, quiètement ouverte, avec des mots des deux langues qui étonnent le train-train, happent, nous font aimer les trois rives :
En français ils partent en lambeaux. En néerlandais ils se déchirent. Verscheurd zijn.
Pas le temps de la virgule, on le voit. Les bris de récits, des lambeaux, les restes, le décanté romanesque permettent ces coqs à l’âne, ces tremblements anachroniques. Le vertige en même temps que la continuité. On vit ce texte dans la respiration haletante du temps présent qui est l’immense lac intemporel de la littérature.
Il plie bagage. Il part avec le soleil du Nord. Met de noorderzon verstrekken.
Le lecteur est conquis dans tous les sens. Il découvre, comme on le dit du ciel, une nouvelle auteure dont on dira vite les nom et prénom sans erreur !
Gilles Cervera
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