Cette nuit-là, la Sorcière… – Vendée, 1794, Jean-Claude Lumet (par François Baillon)
Cette nuit-là, la Sorcière… – Vendée, 1794, Jean-Claude Lumet Éditions du Petit Pavé – Août 2023 112 pages – 12 €

À la lecture du titre de ce récit, on pense inévitablement à plonger dans une atmosphère de légende ou de conte. Si le paysage qui entoure les personnages principaux revêt les draperies d’un cauchemar, l’histoire qui nous est narrée, bien qu’inventée, est réaliste. Du reste, il nous est précisé que les lieux mentionnés, les massacres, le nombre de tués et les noms de victimes sont authentiques. Ainsi, le récit de cette nuit vendéenne de 1794 puise son étrangeté et sa magie, si l’on peut dire, dans une succession de faux-semblants, d’idées basées sur des croyances populaires – ces mêmes croyances bénéficiant de l’obscurité et de l’oppression des luttes révolutionnaires. L’imagination des paysans prévaut sur tout autre effort de raison.
Ce soir-là, Marie Roy est seule chez elle, simplement accompagnée du « grand-père », un homme que son mari et elle ont recueilli dix ans auparavant. Le grand-père, recroquevillé sur lui-même, n’émet aucune parole, semble isolé dans son propre monde. Néanmoins, ce soir-là, ses réactions s’intensifient, comme si les soubassements de sa folie, déjà perceptible, se fendaient pour la laisser pleinement émerger. André Roy, le mari, n’est pas rentré, chose inhabituelle à une heure pareille. Pierre, le fils cadet, non plus. Quant à Jean, l’aîné, il est parti s’enrôler dans l’armée vendéenne, faisant fi des conséquences des combats en cours. On n’obtient plus aucune nouvelle de lui. Il paraît que les pillages et les tueries se multiplient dans les environs. Pour couronner cette sensation d’inquiétude, le temps est à l’orage. « Marie en avait eu un pressentiment étrange dès la tombée du jour. Chaque seconde était un pas nouveau vers un destin sur lequel elle n’avait aucune prise. » (p. 16)
Nichée dans sa masure, au fond du Bois-Piné, une femme assimilée à une sorcière, surnommée « L’Enjomineuse », alimente malgré elle la méfiance autour de ses soi-disant mauvaises influences. Car il semble que, depuis son arrivée il y a quelques années, les récoltes se détériorent et le bétail meure davantage. Ceci n’a pas empêché le couple Roy de faire appel, en désespoir de cause, à ses dons de guérisseuse, lorsque leur fils Pierre a manifesté des signes de démence. Depuis ce jour, l’Enjomineuse a pris conscience de l’ascendant qu’elle peut exercer sur cette famille. Ce soir-là, elle frappe à leur porte, en compagnie d’un soldat inconnu et blessé.
Jean-Claude Lumet installe et prolonge une ambiance d’incertitude et d’angoisse, propre aux légendes noires. Cependant, comme dit plus haut, nous comprenons ne pas être dans un récit fantastique : l’Histoire se confronte à l’histoire de ces paysans. On détecte le délice de l’auteur à maîtriser son suspense, toujours maintenu. Car les questions ne cessent pas et demeurent jusqu’aux toutes dernières pages, nous laissant incertains et impatients quant aux raisons qui poussent la Sorcière à vouloir se venger. Du reste, lesdites raisons sont toujours plus humaines qu’il n’y paraît. De manière lointaine, l’isolement de cette Enjomineuse, sa propension à tendre vers la folie, nous rappellent Bertha Mason, l’épouse cloîtrée, invisibilisée, de Mr Rochester dans Jane Eyre. Certes, notre Sorcière ici n’atteint pas le niveau d’égarement et de furie de cette épouse, mais des éléments nous laissent supposer qu’elle pourra y être conduite. Par ailleurs, le rôle occupé par la Sorcière dans ce récit a une importance non comparable avec celui de Bertha.
Si le style est très accessible, l’auteur ne se prive pas d’attiser notre curiosité et de susciter notre plaisir, en usant parfois de termes locaux, tombés en désuétude – on donne la définition de la plupart d’entre eux – et en déroulant une ligne géographique, grâce à de nombreux noms de villages, bourgades et autres points de repère, tous avérés. Soulignons enfin l’illustration de couverture, très réussie, d’Anne Croizé-Villemin, où les racines et branches des arbres noirs donnent un parfait miroir de l’histoire dans laquelle on s’apprête à entrer.
François Baillon
Jean-Claude Lumet a été professeur d’anglais au Sénégal et en Vendée, dont il est originaire – il a d’ailleurs publié 3 ouvrages en poitevin-saintongeais. Il est l’auteur d’une vingtaine de pièces de théâtre, vues par des centaines de milliers de spectateurs en France et à l’étranger. Outre des contes et des romans, il a créé la série William Poire qui, grâce à un beau succès éditorial, se compose de 6 tomes.
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