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Calendriers : Quel temps fait-il dans la tête ?, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud le 13.01.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Calendriers : Quel temps fait-il dans la tête ?, par Kamel Daoud

 

Un étrange débat algérien depuis les années 90 : faut-il ou pas fêter le Nouvel an ? Les détracteurs disent non : le Nouvel an est occidental, chrétien, impie, colonisateur, étranger. Et nous sommes arabes, musulmans et Algériens. Ce qui est faux : le Nouvel an est romain, pas français. Il est païen pas chrétien. Tout autant que le calendrier de l’hégire qui remonte à Haggar la seconde femme d’Ibrahim et pas à la fameuse hijra, fuite d’un prophète et de son compagnon. Les mouhajirounes qui se présentent comme les exilés, sont en fait les arrière-petits enfants de Haggar (ô troublantes parentés et mystérieux cousinage) et pas les pères du calendrier arabe. Le lien avec l’Algérie ? La colonisation (réussie) des Arabes. Depuis, le pays fête ce qu’il ne récolte pas, mais fête ceux qui sont venus prendre des récoltes chez lui. Du coup, une possibilité de résistance aux temps des autres : je ne fête ni le calendrier de l’hégire, ni celui de Rome. Le temps « arabe » commence par une fuite en avant et continue sur une fuite en arrière. Le temps de Rome commence par une invasion et n’a pas fini avec la décolonisation. Le calendrier de l’hégire a provoqué même des maladies chez nous : on est officiellement né dans un endroit où nous n’avons jamais mis le pied : le Hedjaz.

Et le calendrier de Rome provoque de mauvais souvenirs qui se traduisent par des réactions de rejets identitaires assises sous forme de fatwa, ou debout sous forme de guerre de libération. Avec des signes de confusion : personne ne sait, ou ne dit, en quelle date a commencé la révolution du 1er novembre selon le calendrier de l’Hégire. D’ailleurs, certains imams refusent de se lever à l’hymne de l’Algérie et au drapeau du pays à cause de ça : il y a le temps de l’Islam et le temps perdu, selon eux. Le salafiste terroriste est celui qui a tiré la 1ère balle un 1er Muharram pour libérer la Oumma. Reste que si on calcule selon l’ancienneté (le calendrier le plus vieux dans le grade le moins élevé), le temps commence avec le calendrier amazigh. A cette époque des origines, nous étions tous d’origine. Peuple de la terre du milieu, destiné à de longues colonisations et à de courtes libérations. De ce calendrier ne nous reste que le Yennayer, fête des récoltes et des anciennes divinités. Aujourd’hui toutes deux importées : divinités et fruits secs. Le quatrième temps, plus immédiat mais aussi flou que les autres, remonte au 1er novembre 54. Là, le temps commence quand on tiré la première balle, le 1er novembre de la première année de la guerre. On aurait pu avoir Abane, Ramdane, Amirouche, Ben M’hidi, etc., à la place de janvier, février, mars, avril, etc. Mais le choix a été fait de donner à l’espace les noms des martyrs, pas au temps. Les salafistes, quant à eux, donnent les noms des compagnons du prophète aux mosquées et aux batailles. Pour nous cependant, c’est une bonne décision : on a trop de martyrs et seulement 12 mois et cinquante ans d’indépendance. On s’imagine la longueur de l’année algérienne avec 1,5 millions de morts durant la guerre. Et on s’imagine ce que serait un mandat de Bouteflika calculé sur ce calendrier de l’année qui vaut mille ans dans les autres calendriers.

A la fin, pour avoir son propre calendrier dans le monde, il faut avoir cinq choses : des récoltes (les calendriers fêtent les récoltes, pas les importations alimentaires). Il faut fonder une religion, pas AQMI ou la plus grande mosquée d’Afrique. Trois : il faut avoir une armée puissante qui puisse imposer le temps du conquérant, au temps du conquis. Quatre : Il faut maîtriser l’astronomie, pas la réfection des trottoirs. Cinq : il faut travailler beaucoup, produire, vendre et imposer ses lois et son marché : le repos du puissant est un jour férié, le repos du faible est un congé payé ou un congé de maladie. Donc la réponse à la question du début ? Oui je fête. Toutes les fêtes du monde. Et je suis prêt à ne pas fêter le Nouvel an de Rome, quand on cessera de fêter le nouvel an du Hedjaz. En attendant, c’est le temps perdu du reste de l’année qui devrait nous inquiéter. Et la fatwa qui condamne la bûche au bûcher ? Les fatwas ne nourrissent pas les peuples, elles n’assurent que les salaires des imams et le pouvoir des émirs.

 

Kamel Daoud

 


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A propos du rédacteur

Kamel Daoud

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Kamel Daoud, né le 17 juin 1970 à Mostaganem, est un écrivain et journaliste algérien d'expression française.

Il est le fils d'un gendarme, seul enfant ayant fait des études.

En 1994, il entre au Quotidien d'Oran. Il y publie sa première chronique trois ans plus tard, titrée Raina raikoum (« Notre opinion, votre opinion »). Il est pendant huit ans le rédacteur en chef du journal. D'après lui, il a obtenu, au sein de ce journal « conservateur » une liberté d'être « caustique », notamment envers Abdelaziz Bouteflika même si parfois, en raison de l'autocensure, il doit publier ses articles sur Facebook.

Il est aussi éditorialiste au journal électronique Algérie-focus.

Le 12 février 2011, dans une manifestation dans le cadre du printemps arabe, il est brièvement arrêté.

Ses articles sont également publiés dans Slate Afrique.

Le 14 novembre 2011, Kamel Daoud est nommé pour le Prix Wepler-Fondation La Poste, qui échoie finalement à Éric Laurrent.

En octobre 2013 sort son roman Meursault, contre-enquête, qui s'inspire de celui d'Albert Camus L'Étranger : le narrateur est en effet le frère de « l'Arabe » tué par Meursault. Le livre a manqué de peu le prix Goncourt 2014.

Kamel Daoud remporte le Prix Goncourt du premier roman en 2015