Bijoux de scène de la Comédie-Française, Guillaume Glorieux, Agathe Sanjuan (par Yasmina Mahdi)
Bijoux de scène de la Comédie-Française, Guillaume Glorieux, Agathe Sanjuan, Gallimard, L’École des Arts Joailliers, octobre 2023, 300 pages, 39 €
Le bijou théâtral
Dans ce beau livre d’art, nous découvrons pour la première fois les trésors de la joaillerie de fantaisie ornant les costumes de scène des sociétaires de la Comédie-Française de la fin du 18ème siècle jusqu’aux années 1980. Des maîtres artisans ont façonné avec beaucoup de minutie des faux – copies de bijoux, de joyaux, d’accessoires, en relation avec les modes et les usages des époques citées. Des essais très documentés dévoilent les caractéristiques des bijoux de scène, leur fonction, leur attribution, leur symbolique, ce qui permet de revisiter les répertoires théâtraux en vogue, pièces dont beaucoup sont oubliées. Le bijou ornemental va suivre les réformes et les nouveautés dramatiques de la Comédie-Française – liées par exemple à l’éclosion du metteur en scène – et former le goût du public. Ainsi, les comédiens seront mis en valeur par l’ajout de bijoux plus ou moins luxueux qui leur confèreront un statut particulier et une typologie pour un rôle précis.
Les grands textes d’auteurs seront joués par des comédiennes et des comédiens de renom, splendidement costumés. Des recherches archéologiques ont permis de recréer le « goût à l’antique », gréco-romain, moyenâgeux, renaissant ou orientaliste. Les actrices et leurs homologues masculins seront représentés dans des huiles sur toile, des dessins et des gravures et plus tard, immortalisés par la photographie. Ces images les placent à la hauteur de la noblesse, constellés de leurs bijoux et magnifiés par d’extravagantes toilettes de scène. La costumière va donc occuper une place importante, de pair avec le joaillier et le fourbisseur, contribuant à la notoriété de l’artiste et son désir de paraître. De vrais diamants, émeraudes et autres pierres précieuses cousus sur la parure ou portés librement vont avoisiner des fabrications fantaisies, selon « la vogue historiciste ».
Ce commerce de bijoux de scène a fait la fortune de nombreux « lapidaires d’imitation ». Le budget de la Comédie-Française s’est trouvé alors moins grevé avec l’achat « de bijoux de scène à prix modiques (…), alors que la location de bijoux fins [qui] s’est pratiquée aux XVIIe et XVIIIe siècles » s’avérait très coûteuse. La joaillerie française a le monopole du façonnage et de la création des bijoux des artistes dramatiques. Le mythe des stars débute au 19ème siècle, et les artistes reçoivent de somptueux cadeaux de la part d’admirateurs ou de mécènes : « bijou admiration, bijou ovation ». Il en résulte une vénération, un culte idolâtre pour ces héroïnes et ces héros de plateaux. Des légendes vont se développer autour des actrices et des acteurs, dont le statut reste assez ambigu – femmes et hommes entretenus, liés intimement à des puissants, aux existences de luxe entourées de mystère… La littérature s’est emparée de ce phénomène avec la grisette enrichie qui, elle aussi, fréquentera les théâtres, la « cocotte » Odette de Crécy, modèle que Proust emprunte à la « comédienne légère » des Variétés du Châtelet, Méry Laurent (1849-1900), ou encore au regard du destin tragique de la Nana entretenue par Muffat, couverte de bijoux, créature de Zola.
Le bijou de scène ayant appartenu à quelqu’un de très en vue se relaie, se transmet ou se vend par adjudication, bijou dont la « valeur est aujourd’hui inestimable ». Il est un précieux héritage du temps, des savoir-faire d’orfèvres et de graveurs sur pierre virtuoses. Les textes de l’ouvrage évoquent des célèbres tragédiennes qui ont insufflé un style à la Comédie-Française, dont Rachel (1821-1858) et Sarah Bernhardt (1844-1923), aux noms et aux carrières passés à la postérité – voire l’extraordinaire portrait en pied de Rachel, peint par Edmond Geffroy, dans le rôle de Catherine 1er dans la Czarini d’Eugène Scribe. En ce qui concerne les tragédiens, il y a évidemment Mounet-Sully (1841-1916), un « monstre sacré ». Musset a vanté la beauté, la prestance de Rachel, la grande vedette incarnant « le courant esthétique du romantisme ». Le milieu théâtral a réuni en plus des artisans joailliers, les critiques dramatiques, les poètes et les peintres autour de « ces Dieux des planches ». Les bijoux devenant « embrayeurs de l’action » dramaturgique.
Un grand soin est apporté à la mise en page des illustrations, mettant en valeur les bracelets, bagues, colliers, couronnes et perles sur fond noir ou blanc. Nombre de ces trésors appartiennent à l’institution théâtrale réputée. Ces pièces de collection sont de précieux témoignages du patrimoine culturel. L’École des Arts Joailliers, soutenue par Van Cleef & Arpels, a permis de restaurer 50 bijoux de scène de la Comédie-Française. Ils scintillent encore de tout leur éclat, ayant chamarré les plus grands comédiennes et comédiens, « de Talma à Geneviève Casile (…) en passant par Marie Dorval ».
Yasmina Mahdi
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