Au cœur de l’intelligence, Colette Portelance (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)
Au cœur de l’intelligence, Colette Portelance, Editions du CRAM, septembre 2021, 294 pages, 20 €
Le titre de ce livre pourrait laisser croire au lecteur qu’il va plonger en totale immersion au cœur de l’intelligence, et enfin en percer le secret… Mais ce titre est en réalité bien plus subtil : il célèbre, parmi les intelligences multiples chères au psychologue américain Howard Gardner, l’intelligence du cœur… « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » de Blaise Pascal résonne jusqu’à nos neurones. Oui, on l’ignore encore, mais le cœur a des neurones !
Le paradigme des trois cerveaux
Colette Portelance détaille dans cet ouvrage l’apport des neurosciences et de la physique quantique dans notre appréhension de l’intelligence. La physique quantique ébranle nos repères car elle s’intéresse aux relations invisibles entre les atomes et les particules, les champs électromagnétiques et énergétiques. Le terme « neurosciences » est apparu dans les années 1960 grâce aux travaux des Prix Nobel David Hubel et Torsten Wiesel et propose une vision plus globale du cerveau et du fonctionnement de l’être humain.
Les neurones ne sont pas localisés que dans le cerveau. Le paradigme des trois cerveaux est une nouvelle réjouissante car il nous apprend que nous sommes dotés de trois cerveaux : celui du ventre (200 millions de neurones), du cœur (40.000 neurones) et de la tête (cent milliards de neurones). Le cerveau du ventre, dit aussi entérique, serait le siège des émotions. Le cerveau du cœur nous relie et rassemble. Quant à notre cerveau de la tête, il est plus puissant s’il interagit avec les cerveaux du ventre et du cœur.
Contrairement à la neurologie qui nous livre une version fragmentée du cerveau, les neurosciences ont développé une approche holistique et synergique de l’intelligence. Etymologiquement, intelligence signifie « rassembler », créer des connexions. Alors que l’origine du mot diable, « diabolus », veut dire « diviser », ce qui revient symboliquement à couper la tête du cœur. « Nos grandes pensées viennent du cœur », écrivait Blaise Pascal. Nous ne sommes pas que des êtres rationnels et heureusement pour nous… Ce chemin du cœur valorise l’intelligence émotionnelle et la force de nos émotions. Accepter la puissance de l’intelligence du cœur et la richesse des relations humaines nous protège paradoxalement de la dépendance affective. Nos neurones du cœur nous permettent de penser autrement qu’en mode linéaire, binaire et logique. Savoir utiliser nos trois intelligences nous permettrait d’accéder à un état de conscience plus élevé. Cette vision holistique de la pensée humaine nous permet de nous extirper d’une vision trop étroite, mesurable et standardisée de l’intelligence, et surtout héréditaire.
Au XXIème siècle, nous sommes encore influencés par des fausses croyances sur notre intelligence. Vous connaissez peut-être déjà le neuromythe de l’asymétrie cérébrale (le cerveau droit serait plus créatif et global que le cerveau gauche analytique), mais le plus tenace reste celui du vieillissement cérébral : notre cerveau est bien plus souple et performant que ce qu’on nous instille dès notre plus tendre enfance. Non, tout ne se joue pas avant 6 ans, ou encore 12 ans. A tout âge, on peut créer de nouvelles connexions neuronales. Il faut imaginer que nous pensons avec tout notre corps : même notre alimentation peut avoir un effet sur le cerveau. Par exemple, la neurogénèse est freinée par le sucre industriel.
En parallèle des trois intelligences du cœur, du ventre et du cerveau, Colette Portelance décrit trois types d’intelligences pour mieux comprendre les enfants : l’esthète, le pragmatique et le rationnel. L’esthète est celui qui sent et qui appréhende le monde par le cœur (ce qui rappelle le cerveau du cœur). Le pragmatique est quant à lui dans l’action. Et le rationnel, dans le spéculatif, l’intelligence logico-mathématique : il a tendance à rationaliser ses émotions. Les méthodes pédagogiques utilisées par le système scolaire français sont plus adaptées aux rationnels.
L’intelligence est-elle toujours rationnelle ?
L’auteur ose consacrer sa dernière partie à l’intelligence irrationnelle qui rassemble à la fois l’intelligence émotionnelle, motivationnelle, intrapersonnelle et spirituelle. L’irrationnel a son propre langage. Nous apprenons de toutes nos émotions, négatives ou positives. L’intelligence intrapersonnelle permet de créer un lien entre le ressenti et la prise de conscience.
Dès lors, l’intelligence irrationnelle est ce petit « plus » ou ce petit « rien » qui nous aide à devenir ce que l’on est. Ont été suivis dans le passé 90 étudiants de Harvard, et ceux qui avaient le mieux réussi leurs examens n’étaient pas ceux qui avaient le mieux réussi dans la vie et qui étaient heureux.
L’auteur oppose l’intelligence rationnelle de Descartes, le déductif, le méthodique à l’intelligence illogique, irrationnelle, spirituelle, intuitive, sensitive et émotionnelle. Or Descartes était-il si rationnel ? Descartes affirmait qu’« il n’y a pas d’autres voies qui s’offrent aux hommes, pour arriver à une connaissance certaine de la vérité, que l’intuition évidente et la déduction nécessaire » (Règles pour la direction de l’esprit, règle XII, René Descartes). Ainsi, Descartes a cherché à créer un lien entre l’intuition de la vérité et le raisonnement déductif. En revanche, il a été plus « tranchant » sur l’intelligence du cœur, car il a coupé notre corps de notre tête, en se méfiant de la puissance des passions. Selon lui, la passion était passivité de l’âme…
Ce livre sur l’intelligence irrationnelle nous aide à renouer avec nos neurones du cœur, comme l’avait déjà fait Spinoza en distinguant les passions joyeuses des passions tristes.
Et nous permet d’accueillir la clairvoyance intemporelle d’Emerson : Rien de grand ne se fait sans enthousiasme.
Un livre à découvrir pour célébrer toutes les formes d’intelligence de nos enfants.
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
Colette Portelance a œuvré toute sa vie dans les domaines de l’éducation et de la relation d’aide. Dès le début de sa carrière d’enseignante auprès des adolescents, elle a compris que les échecs scolaires avaient principalement pour cause le manque d’intérêt et de motivation des jeunes pour les matières enseignées parce que leur type d’intelligence n’était pas suffisamment reconnu ni exploité à l’école. Plus tard, elle a approfondi sa recherche au cours de ses études de doctorat à l’université de Paris et l’a appliquée dans sa création de la formation des spécialistes de la relation humaine au Centre de Relation d’Aide de Montréal.
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