Alain Morin, Pour quel temps inconnu ?
Poésie asilaire
Comme je reçois à la même date trois livres des éditions Rougerie, lesquelles continuent leur travail d’impression et de diffusion avec un courage exemplaire, je profite de ces lignes pour partager mon sentiment au sujet de deux livres de feu Alain Morin. Cet auteur, que peu connaissent, laisse une impression « métaphysique » comme l’écrit Y. Bonnefoy, quand pour ma part, j’ajouterai, d’une espèce d’ordre supérieur. Par exemple, ce beau poème de Purgatoire : Toi qui vois/ exaspéré d’amour,/ Archange du plaisir/ toi dont le regard/ transperce la beauté,/ je te rends grâce/ homme magique/ aux rêves par milliers. Avec comme exergue : A G…, 4 ans d’internement. Et là est une espèce de secret, un « corps-espace » comme l’écrit Alain Morin, une « liturgie du temps », en tous cas, un hic et nunc très frappant et solitaire.
Je crois reconnaître derrière ces poèmes presque labiles, délicats comme un plumage, si je puis dire la présence énigmatique d’une personne humaine réduite à la solitude. Je cite : Petit marcheur parmi les roses/ Au rire envahi par un monde grave/ Chaque pas soustrait au Temps/ T’affame de grandir/ De pousser plus loin battant des bras/ Dans l’allée où fuient tous les corps/ Dans l’oubli traversé des soleils sans visage. Une espèce de présence de folie, de déréliction, et en même temps de beauté suffocante. Le poète d’ailleurs a eu maille à partir avec l’institution asilaire – et on peut peut-être reconnaître en quoi ces allées que je viens de citer ressemblent à s’y méprendre à ces beaux jardins qui forment patio dans les hôpitaux parisiens. C’est à une sorte de poète asilaire, pas un témoin ni un activiste foucaldien – même s’il est possible de pousser la lecture à ce terme –, mais un mage solaire, qui vit dans la proximité des fous et de l’insanité mentale avec sa noirceur et son éclat.
J’ajoute que les poèmes écrits à Paris visiblement, comme cette ode au métro aérien La Motte Picquet-Grenelle, tiennent aussi même hors de cette consigne, de cette clôture dans le milieu psychiatrique ; non, je crois que c’est l’intrication, la concaténation de cette vie libre et désolée que le poème bouleverse, avec le monde, l’espace, le temps et le langage, qui fixent un imaginaire subtil et brûlant.
Beaucoup sont en prière,
immobiles ou mobiles.
L’espace restreint dont ils disposent
les a contraints à une liturgie du Temps.
Un art poétique plein d’épaisseur, de relief, très secret, un monde presque incompréhensible et cependant clair, une sorte d’art en direction des anges. Une voix, comme le souligne Yves Bonnefoy.
Didier Ayres
Alain Morin, Pour quel temps inconnu ?, préface Yves Bonnefoy, Rougerie, 1990 ; Le Purgatoire, Rougerie, 1984.
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